Marie Billetdoux : C’est encore moi qui vous écris

jeudi 22 avril 2010, par Sylvette Dupuy

Stock, 2010

Bigre, 1481 pages ! ou quarante années (1968-2008) de la vie de Marie (Rafaële) Billetdoux. Lettres échangées avec la famille, son amour, ses éditeurs, ses lecteurs, ses autres amours (les « contingentes »).

Aurait-elle réalisé là le Livre Suprême dont nous rêvons tous ? – surtout nous à l’APA ? Le lecteur est tenté de répondre oui car en vérité, c’est bien là une vie qui s’étale devant nous, la vie d’un écrivain doué, avec ses doutes, ses angoisses, la vie de la femme d’un seul homme, Paul Guilbert qu’elle a rencontré alors qu’elle était très jeune encore et dont elle a su tout de suite qu’il serait son amour de toujours, la vie d’une fille d’auteur dramatique alternant les périodes de succès et de « vaches maigres ». Dans la première partie du livre, on se surprend même à l’envier, cette jolie fille qui connaît la réussite si jeune, avec de si beaux titres (Mes nuits sont plus belles que vos jours, Prends garde à la douceur des choses… ), épaulée par sa mère et sa grand-mère avec lesquelles elle échange fréquemment des lettres d’une grande richesse (on écrit beaucoup et bien dans la famille Billetdoux).

Mais aucune vie n’est si simple et, insidieusement, les rapports familiaux avec sa mère et sa sœur se gâtent, principalement à cause du livre que Rafaële publie au sujet de son père, Chère Madame ma fille cadette , où elle raconte sa propre vision de son adolescence. Pour le lecteur, le malentendu familial avec sa mère et sa sœur qui va en grandissant est poignant. Mais les difficultés familiales ne sont pas tout. L’auteure ne craint pas de se montrer sous un jour peu sympathique car les lettres procédurières (aux voisins, éditeurs, hommes de loi, entrepreneurs, etc.) pleuvent de toutes parts. Il est vrai que revendiquant son droit de créatrice, ne vivant que de sa plume, ayant un fils à élever, elle se bat vaillamment dans la vie comme un petit soldat pour imposer sa conception des choses.

Sans cesse et avec une belle persévérance, Marie (qui depuis le décès de son amour a décidé d’abandonner son prénom de Rafaële) traque l’hypocrisie, le qu’en dira-t-on, le langage surfait et faux et se bat pour trouver le mot juste, ce qu’elle estime être le plus proche de sa vérité. On pense à Mars de Fritz Zorn où l’auteur insiste pour cerner au plus près les mots qu’il veut laisser afin que son témoignage décrive avec exactitude l’homme qu’il a été, et rende compte de sa souffrance. Il n’empêche. En fermant le livre, le lecteur a mal pour l’extrême solitude à laquelle Marie Billetdoux semble se condamner, malgré les lettres de lecteurs enthousiastes et quelques belles amitiés pérennes.

Reste cette volonté farouche de TÉMOIGNER du temps qui passe : les bulletins scolaires de son fils Augustin à l’École Alsacienne répondent à ses propres bulletins, les moindres mots (brillants) de Paul Guilbert sont restitués, les lettres officielles, les prix littéraires accordés, les personnages de la société du spectacle croisés, les divers traitements médicaux, les maisons habitées, tout est rapporté et contribue à faire un texte unique et très original.

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Oui, c’est cela aussi une vie d’être humain. Tant pis si cela agace ou laisse certains lecteurs indifférents.