Marie Chaix : Juliette, chemin des cerisiers

lundi 16 janvier 2012, par Véronique Montémont

La cause des livres, 2011

Ceux qui avaient aimé Les Lauriers du lac de Constance, Les Silences ou la vie d’une femme ou, plus récemment, L’Été du sureau, pourront (re)découvrir avec plaisir Juliette, chemin des Cerisiers, de Marie Chaix, dont les éditions La Cause des Livres nous offrent la réédition, assortie d’une préface inédite de l’auteur. Quatrième volet d’une série autobiographique où l’écrivain retrace l’histoire de sa famille, Juliette rend hommage à la figure de celle qui fut pour Marie une véritable mère de substitution : « Mes premiers souvenirs sont plantés à Suresnes, à l’abri de Juliette, de sa voix, de ses rires […]. C’est cette femme-là que j’ai aimée. Elle est ma mémoire, ma santé. Je lui dois tout ». Pas facile en effet pour une enfant de grandir entre un père en prison et une mère harassée par le travail et les visites à Fresnes. Juliette deviendra peu à peu gouvernante, intendante, amie, et surtout pilier d’une famille durement éprouvée par l’Histoire.

Entrée pour le meilleur au service d’un couple bourgeois, dont le mari est l’une des étoiles montantes du PPF en plein essor, Juliette restera pour le pire. « Crois-tu que j’aurais pensé à m’en aller ? ». Pendant l’Exode, c’est sa mère, Françoise la paysanne, qui recueille les petits Lyonnais en fuite et s’en occupe sans poser de questions. Ensuite, Juliette voit tout : l’époux collabo, Doriot, et plus tard des Allemands invités à la maison ; elle assistera même à un meeting et en sortira vaguement « dégoûtée [par] ces cris, cette folie dans le regard ». Mais elle ne « cherche pas la petite bête », Juliette. Car ce qu’elle voit surtout, c’est une jeune femme perdue qui tricote en attendant un mari absent, et des enfants qui grandissent sans voir leur père. En 1945, finis les beaux jours : Albert s’est envolé avec « la clique », vers Sigmaringen, Alice et ses enfants sont devenus « la famille du traître », ce qui vaudra même à Juliette d’être interrogée par la police. Il n’y a plus de piano, de soirées, plus d’argent pour la payer non plus. Mais Juliette tient bon : pas question d’abandonner une Alice ravagée par le chagrin de la mort de son fils aîné. « Ta mère comptait sur moi ». Ainsi se reconstruit, cahin-caha, un foyer, que la jeune Marie résume ainsi à l’école : « Je n’ai pas de père, mais j’ai deux mères, une qui va travailler et l’autre qui reste à la maison ».

Comme dans Les Lauriers, l’écrivain a choisi de donner la parole à sa protagoniste, à la première personne, recherchant – et retrouvant – ses mots, son phrasé, son timbre. Et à travers cette peinture de femme exceptionnelle, c’est aussi celui de toute une génération que l’on voit s’esquisser : une naissance en Dombes en 1905, dans une famille d’agriculteurs modestes ; neuf ans quand la Grande Guerre arrive ; douze quand il faut quitter l’école, pour aider aux travaux de la ferme, puis le « placement », qui dans ce cas finira en adoption réciproque. On retrouve dans ce livre toute la sensibilité lucide et la justesse qui caractérisent l’écriture de Marie Chaix ; pas d’idéalisation, mais beaucoup d’amour. Elle note que, si Juliette a l’air doux sur les photos, attention : « Ne pas lui marcher sur les pétales, à cette douceur-là, elle pique ». Elle la dépeint comme une femme courageuse, parfois abrupte, mais pleine de sollicitude ; comme une alchimiste surtout, dont la tendresse répare les mauvais coups de la vie et le bon sens – parfois sans concession – coupe court à tout apitoiement. Juliette a eu pour Les Lauriers du Lac de Constance cette phrase extraordinaire, qui pourrait résumer son affectueuse vitalité : « Tu vas vraiment faire un livre avec cette histoire-là ? Eh bien… si tu arrives à gagner ta vie avec ça, on pourra dire que les conneries de ton père auront servi à quelque chose ! ».