Marie-Claire Dewarrat : Chroniques d’altitude. Les éphémérides 2-22

mardi 4 mai 2010, par Catherine Schmutz-Brun

Éditions de l’Hèbe, à Charmey en Suisse, 2009

Voilà presque 25 ans maintenant que Marie-Claire Dewarrat mène son bonhomme de chemin d’écrivaine. D’emblée, elle fut reconnue et gratifiée de nombreux prix (1985, prix de la Bibliothèque pour tous ; 1988, prix Dentan ; 1990 Prix Blancpain pour l’ensemble de l’œuvre).

Pour les gens d’ici, c’est une figure connue et reconnaissable par ses rondeurs souriantes, son petit chignon sans âge, son pétillement dans les yeux. Une figure simple, comme on dirait sans prétention, « comme tout le monde ». Et pourtant, quand on franchit la page et qu’on entre dans son écriture, c’est tout le contraire ! On est là, pris comme fasciné par ses mots qui disent autrement ce que chacun vit ordinairement. Une façon de voir et de raconter qui fait son style. Plus de doute, Marie-Claire Dewarrat est sans conteste l’écrivaine fribourgeoise contemporaine dont on peut seulement espérer qu’elle soit - enfin - lue et reconnue au-delà de nos frontières.

Alors, amies et amis apaïstes, j’aimerais vous donner le goût d’aller la découvrir grâce à ces Chroniques, tenues du 2 au 22 avril. Commencer par là, par ce déroulement des vingt jours passés à accompagner son mari qu’un accident vasculaire cérébral a plongé dans la perte de sa mobilité et de son autonomie. Mais attention, pas de larmes ni d’apitoiement ! Au contraire, attendez-vous à rire, à chantonner, à être choqué et à aimer cette langue qui se fait poésie du monde et du regard sur les choses et regard des choses.

L’auteure accompagnant l’homme de sa vie pour 22 jours de « réhabilitation à la vie » entreprend d’en tenir le journal de bord. La Clinique apparaît au sommet de la montagne, énorme paquebot planté là « tout entier ramassé sur l’oscillation du flot intérieur qui l’habite » et dans lequel sont embarqués les meurtris, éclopés, « le peuple boitant et roulant des malades », tous se tenant avec peine dans le roulis immobile, avançant vaille que vaille.

Palace comprenant des salles à manger avec des sièges design, des salons, des espaces de soin, d’art-thérapie, une passerelle aux oiseaux, un petit étang et même un cheval pour la thérapie, palace-privilège de l’argent mais aussi « piège » pour la compassion institutionnelle à la solidarité factice et subventionnée.

Par exemple, le 10 avril, les « demi-veuves qui tournent en rond » et crèvent de tendresse et de peur retiennent son attention. « Elles brûlent jour et nuit dans l’enfer de la compassion et elles supplient le diable, en cachette des fois qu’il existerait pour de bon, de le laisser mourir avant elles mais de grâce pas maintenant. » Tandis que les demi-veufs (plus rares) sont des apparitions fugitives, mais toujours admirables au dire des demi-veuves !

Le 14 avril est marqué de la rencontre avec la psychologue qui reçoit dans un bureau aussi froid qu’une chambre mortuaire où rien ne traduit sa personnalité, où sont amassées des revues « qui disent la même chose qu’elles » : le spa du grand hôtel, les vacances à Djerba, la boutique bio, le traiteur moléculaire. Quant elles finissent par proposer un léger antidépresseur, la révolte intérieure gronde qui résonne de ce monstrueux constat : « La vie t’agresse, te déchire, te lamine, t’abat, mais ce n’est pas elle, ses vices, sa violence, sa cruauté que l’on soigne. C’est toi. ».

Et de jour en jour, en arriver au dernier, à celui du départ qui les met par hasard dans le même ascenseur que les plantes vertes descendues au rez-de-chaussée puisque le printemps arrive. Chacun s’en allant retrouver sa lumière ! « Replonger ses racines atrophiées dans sa propre terre » et laisser derrière soi ces 21 jours « disputés à l’éternité ».