Marie-Hélène Prouteau : La petite plage

vendredi 5 août 2016, par Pierre et Marie-Dominique Yvard

La part Commune, 2015

Des moments de bonheur pur dans vingt-six textes qui nous transportent, au gré de la mémoire, dans un flux et reflux constant. L’auteure nous dit : « Je préfère capter la mémoire aspirée par le bondissement des vagues ». On peut ouvrir ce recueil à n’importe quelle page et se laisser porter par des mots et des phrases qui, tels une barque portée par les flots, suivent le rythme des émotions liées aux souvenirs personnels d’événements du passé, aux réminiscences littéraires ou picturales que la mer, le vent et les tempêtes font ressurgir. Ces émotions sont l’écume de la vague qui s’écrase sur le rocher ou vient s’échouer sur le sable : vague toujours fascinante mais qu’on ne peut retenir. La mémoire ainsi mise en mots, flux de la conscience, rappelle l’écriture de Virginia Woolf dans ses récits autobiographiques aussi bien que dans ses romans. Chaque retour vers la petite plage ravive les souvenirs de l’enfance, ramène à la surface la présence d’êtres chers aujourd’hui disparus, la mémoire de lieux comme les enclos paroissiaux dont l’image demeure pour toujours au plus profond de soi.

On croise, au fil des textes, la vie familiale et certains aspects de son histoire tourmentée par le dur labeur et les guerres. A l’évocation d’un mégalithe, on rencontre Victor Segalen qui se retrouve face à lui-même au cours de ses nombreuses pérégrinations. On revoit Gabin et Morgan dans Remorques de Jean Grémillon. Les pêcheuses de goémon nous renvoient à Paul Gauguin. Les peintres de Pont-Aven ne sont pas non plus là par hasard dans le récit. Ils sont là car ils ont dans leurs mains « le nuancier de l’invisible ». Ils accompagnent l’auteure dans sa recherche des mots justes pour évoquer les multiples couleurs de la mer, la texture solide des rochers, les couleurs mouvantes des champs de lin, du sable et la forme fuyante des vagues. « La mer qu’on assassine » vient aussi, en contrepoint, ternir l’image que l’on voudrait garder intacte d’une mer tantôt calme, tantôt furieuse mais toujours source d’inspiration. Les tragédies de L’Amoco Cadiz et de Lampedusa viennent briser les rêves. Néanmoins, les éléments que sont l’eau, le vent et la terre continuent d’interpréter leur musique éternelle rythmée par la force du vent. « Je suis une mangeuse de vent », « l’imagination est un lieu où il fait grand vent ».

La mer et la plage, avec leurs odeurs et le rythme des marées, semblent bercer l’auteure et la plonger dans des songes et des rêveries toujours renouvelés où l’imaginaire et le réel se rejoignent. La magie du lieu opère et chaque moment est vécu pleinement. Moment de vie intense qui révèle l’être à lui-même et lui redonne une énergie pour affronter le monde. Ce lieu, le Finistère, « c’est la frontière où commencent les choses ».