Marie Hélène Roques : Passeurs de mémoire

mardi 19 novembre 2013, par Élisabeth Cépède

Marie Hélène Roques se révèle aujourd’hui en journaliste talentueuse aux côtés de la cinéaste Isabelle Millé dans le film qu’elles viennent de réaliser ensemble, Passeurs de mémoire.

Dialoguant avec différents rescapés des guerres du XXe siècle, elle trouve les mots qui permettent à ces échappés des camps, à ces exilés espagnols et anciens appelés d’Algérie, non seulement de sortir de leur mutisme, mais de l’expliquer. Un montage astucieux interrompt chaque interview pour donner la parole aux témoins d’autres moments de l’histoire. Mère et fils, père et fille se répondent d’une séquence à l’autre.

Janine Morisse, jeune résistante arrêtée par la Gestapo se souvient qu’au retour de Ravensbrück, personne ne pouvait croire ce qu’elle racontait. Elle a fini par écrire ses souvenirs dans Là d’où je viens. En souriant, elle étale devant la caméra sa veste de pyjama rayée et son numéro matricule 27780.

Gérard Khin, engagé dans la guerre d’Algérie a si bien gardé le silence que sa fille n’imaginait pas sa souffrance avant l’intervention de Marie Hélène Roques. Il a écrit ses souvenirs dans Le sang des autres. Écrire m’a apaisé, dit-il, mais la parole ravive la réflexion.

Élargissant son enquête, la meneuse du jeu invite à dialoguer Laurent Mauvignier, l’auteur de Des Hommes. Il n’a connu la guerre d’Algérie qu’à travers l’album de photos rapportées par son père et regardé surtout par sa mère. Enfant, j’étais inquiet, confie-t-il, le non-dit flotte. Il savait déjà qu’un jour il écrirait sur l’indémêlable lien entre mémoire et inconscient. Il se refuse à dire si écrire est thérapeutique ou si c’est parce qu’on va mieux qu’on peut écrire.

Marie Hélène Roques fait lien entre ces êtres meurtris. Son initiative d’interroger les fils ou filles des rescapés leur a enfin rendu possible d’en parler ensemble. La passeuse de mémoire demande alors aux participants s’ils se sentent désormais « passeurs de mémoire » et en quoi, et comment. Tous souhaitent que leur épreuve soit connue parce qu’ils sont des miraculés, tandis que des milliers d’autres n’ont pas eu leur chance. Bruno Ruiz célèbre la mémoire de son père dans ses chansons. Progresso Marin dont le père a aussi fait la guerre d’Espagne n’en a jamais parlé avec lui. Il recueille à présent les témoignages d’anciens engagés de la guerre d’Espagne et il souligne que ces récits se font encore dans les larmes.

Pourtant pas de pathos chez Marie Hélène Roques. En artiste, elle tire parti du talent poétique de Janine Morisse qui lui a chantonné une prière écrite à Ravensbrück. Elle demande à la chanteuse Mariande d’écouter et de relever les notes de la mélodie et de la chanter. Face à la caméra, sa voix pure, a capella, offre au spectateur un moment de méditation sereine.

Janine Morisse raconte son expérience aux élèves d’une classe de troisième d’un collège de Toulouse. Gros plans sur les élèves concentrés pour écouter. La stupeur passée, ils posent quelques questions : Avez-vous pensé que vous alliez mourir ? Bien sûr, presque tout le temps. Mais la vieille dame affirme aussi qu’écrire un poème chaque jour était un acte de résistance : « Ils n’ont pas pu nous prendre le coucher du soleil ». L’émotion étrangle encore Gérard Khin lorsqu’il parle de la torture aux élèves de 1ère du lycée de Moissac. Parti en Algérie avec de solides convictions morales et républicaines, il a vite constaté que l’armée n’en tenait pas compte, il ne se console pas d’avoir été conditionné à obéir. Cette période de sa vie est pour lui comme une tache. Les élèves se disent plus touchés par ces témoignages personnels que par leurs cours : pour eux, l’histoire s’est incarnée.

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