Marie-Madeleine Million-Lajoinie : L’autre rive

mardi 18 février 2014, par Véronique Leroux-Hugon

Riveneuve Éditions, 2014

C’est une longue réflexion sur la vie et sur la mort que propose ici Marie Madeleine Million-Lajoinie, à partir d’un immense traumatisme de l’adolescence dont elle va livrer les circonstances progressivement, en s’interrogeant tout au long de ces pages sur le sens et l’impact, initial (?), unique (?) de ce choc par rapport à l’ensemble de sa vie.

Car c’est aussi un récit de vie dont la substance intime ne nous est que pudiquement et parcimonieusement révélée que cette psycho-sociologue nous propose ici, habituée qu’elle est de par sa pratique et de par ses écrits à cet exercice. Elle a, entre autres, travaillé sur des textes de l’APA et publié cette recherche chez l’Harmattan en 2000 sous le titre : Reconstruire son identité par le récit de vie.

Fidèle à sa pratique, elle étaye cette réflexion sur de nombreuses lectures et citations : poètes, philosophes, écrivains auxquels elle emprunte volontiers pour enrichir sa réflexion personnelle qui s’achève sur un extrait du poème d’Éluard : "Le Phénix".

Nous apprenons donc qu’une sœur cadette s’est noyée, avec d’autres adolescentes ne sachant pas non plus nager alors que toutes deux participaient à un camp scout au bord de la mer. Se sentant indirectement – et pendant toute une période – responsable du drame, Marie Madeleine dit son désir d’y revenir par l’écriture, peut-être pour affronter et dépasser un sentiment de dette ; mais aussi dans une démarche rétrospective pour se mesurer à l’ensemble de son histoire et à cette reconstruction de soi qu’elle a pu entamer à la suite de l’événement traumatique. A un sentiment d’absence de l’environnement familial et social et aussi de culpabilité, succédera une sorte de seconde naissance qui marquera le renouveau de ses choix de vie.

Elle a été élevée avec quatre sœurs – par des parents imprégnés d’austérité chrétienne – et en institution catholique. Cette adolescente provinciale « terrassée par la rencontre prématurée avec la mort », deviendra donc étudiante, à Paris passionnée par ses études de psycho-sociologie et de sociologie, après quelques années d’incertitudes dans son orientation.. Elle connaîtra l’effervescence des années 68 et les interrogations contradictoires qu’elles susciteront sur les valeurs chrétiennes de son éducation. Elle redit toute l’importance de sa vie professionnelle, les rencontres qu’elle a suscitées, et l’accès à un autre monde qu’elle a favorisé.

Elle évoque aussi les rencontres plus ou moins satisfaisantes avec l’autre sexe pour cette fille grandie dans un certain mépris du corps à travers une éducation très « normée » : celle qui se pratiquait alors pour le « genre » féminin et sur laquelle elle adoptera un regard critique en accord avec certaines de ses options féministes ultérieures.

Elle connaitra d’autres confrontations avec la mort, mais saura aussi cultiver les bonheurs que procure la culture sous ses différentes formes et tout spécialement la musique.

S’interroger sur ces jeunes vies trop tôt achevées conduit l’auteure à rechercher par l’écriture les traces de son existence passée. Jusqu’à cette « autre rive » que l’on cherche à atteindre au-delà des vicissitudes de la vie.