Marie Nimier : Les inséparables

mercredi 12 novembre 2008, par Catherine Vautier-Péanne

Gallimard, 2008 / Folio

« J’aimais la voix traînante de Léa, ses cheveux roux, son incroyable vitalité. Nous nous comblions, est-ce qu’on peut dire cela ? Se combler, comme deux pièces de puzzle qui s’ajusteraient parfaitement mais ne viendraient pas de la même boîte. Que nous est-il arrivé ? Où sont passées les deux amies perchées sur le tabouret du photomaton, les petites filles amoureuses, les adolescentes en colère ? Il faudrait retourner dans la cabine, glisser une pièce dans la fente pour obtenir l’image vivante, la preuve tangible de cette force qui nous habitait. Au lieu de ça, un rideau se lève, et c’est Léa qui apparaît. Léa et son nouveau métier, rue Saint-Denis, Léa et ses bras troués. »

C’est bien une passion que raconte Marie Nimier, celle qui naît entre deux fillettes à Paris : Léa aux cheveux flamboyants et elle, enfant. La romancière décrit un lien extraordinairement fort qui, de l’enfance - elle est née en 1957 - dure encore aujourd’hui, dans le roman comme dans la vie (source Le Temps, Genève). C’est aussi une passion, au second sens du mot, quasi religieux. Tandis que Marie en grandissant s’en va vers l’écriture et le spectacle, Léa accueillera dans sa chair, avec la drogue, la délinquance et finalement la prostitution, les malheurs du monde. Après la Reine du Silence (prix Médicis 2004) où elle s’était aventurée pour la première fois dans l’écriture du réel avec la disparition de son père, doué pour l’écriture mais très peu pour la paternité, la faille ouverte à cet instant n’a fait que s’agrandir.

Avec Les inséparables, écrit visiblement sous l’emprise d’une urgence passionnée, le réel s’engouffre vraiment dans son écriture : « Les autres pouvaient dire ce qu’ils voulaient, Léa et moi c’était pour la vie. » La relation entre les deux amies est fusionnelle dans l’enfance. C’est le temps de l’école, des passages mystérieux, des familles recomposées ou les petites filles se passionnent pour les animaux. A mesure que Léa grandit et s’enfonce socialement, c’est le regard d’une femme sur l’autre qui l’emporte, un regard sans jugement ni pitié, interrogateur et aimant. sous la plume de la romancière, le personnage de Léa, droguée, prostituée, prend une ampleur étonnante et s’étend petit à petit, maternel et courageux dans sa souffrance, jusqu’à la dimension d’une sorte de déesse martyre.

Les mots tissent d’autres correspondances, plus fines, souterraines, poétiques même. En parallèle à l’histoire des deux femmes se déroule un autre drame, celui du sens que le mot, découvre l’enfant, ne recoupe pas toujours exactement. Comment se fait-il qu’un lieu nommé « impasse » puisse être, en fait une « rue » ?

Ce beau roman autobiographique est tout simplement touché par la grâce.