Marise Crémieux-Hurstel : Journal d’une adolescente juive sous l’Occupation

mardi 2 août 2016, par Roseline Combroux

Éditions Privat, 2015

Ce journal intime a pu être publié grâce à l’initiative de Nicole Zimernann (*), belle-fille de Marise, qui vit à Toulouse et a été journaliste à France 3 Sud. Elle a retranscrit le journal, l’a tiré à quelques exemplaires pour la famille puis s’est rendu compte qu’il pouvait intéresser plus largement. Dans la préface elle situe le contexte dans lequel Marise écrit, l’incompréhension, la peur, la persécution que Nicole rapproche de ce qu’a vécu sa propre famille comme tant d’autres. Un tissage subtil.

22 janvier 1943, première entrée du journal qui sera tenu jusqu’en 1949. Marise a quinze ans. Dès le début le ton est donné : "Journal d’une égoïste née en 1927 à Jemmapes (Algérie) pour les boches, et, en vérité, à Paris, dont le nom est Camus pour les boches et Crémieux en réalité…"

Son journal devient sa seule liberté d’expression, son seul confident bien qu’elle sache que ce carnet représente un danger (le premier a été détruit par Georgette, sa gouvernante craignant qu’il ne fut découvert et ne les trahisse). Elle s’adresse à lui en le tutoyant. Elle le tient régulièrement, l’écriture est spontanée, directe sur le mode de la conversation, des réflexions intimes ; des dessins illustrent certaines pages.

Après avoir présenté sa famille et son environnement, le 17 février 1943 elle note : "Je ne peux même plus écrire. On vient de m’apprendre que Papa, mon papa chéri a été arrêté dans une rafle à la gare de Marseille, il y a trois jours… " . Tout au long elle dit le manque de ce père, la peur de ne plus le revoir. Elle fait le vœu de jeûner s’il revient : " Je fais ce vœu car pour moi ce sera très dur. Mais si un vœu était facile, le mérite serait bien petit… "

Malgré les difficultés, elle est une adolescente avec ses désirs, ses réflexions profondes et ses frivolités. Le journal est un mélange inextricable de moments dramatiques, de doutes, de découragement mais aussi de joies, d’espoir, de désirs : "J’en ai assez de me débattre avec tout, d’avoir peur, sans personne qui me comprenne" . Quelques jours plus tard : "Dans un mois, Chantal organise une surprise partie… Quelle chance ! ". Puis : "ça y est… Je crois que je suis amoureuse. Il s’appelle Richard, il est beau, mais beau.. […] Cet après-midi Richard m’a embrassée… J’ai 16 ans, un vrai flirt… et s’il n’y avait pas cette horrible guerre, et si Papa était là, mon Dieu que la vie serait belle…". Elle s’autocritique, s’excuse d’écrire de telles bêtises mais dit son besoin, son envie d’écrire, de vivre.

Le 25 janvier 1944 elle oriente sa vie, rédige ses dix commandements et donne sa devise : "prends la vie du bon côté ". Elle s’autoanalyse : "Je crois que mon plus gros défaut est l’égoïsme […] Ensuite un mélange d’étourderie |…] un peu de désordre […] Énervée souvent, est-ce un défaut ? Je n’ai pas de patience. Mais c’est peut être la jeunesse. […] Suis-je intelligente ? […] Pour la vie, oui, mais je manque de diplomatie."

Jour après jour elle se livre à des réflexions plus politiques, philosophiques, prend des résolutions si son père revient, découvre les goujateries dont sont capables des proches, passe par des phases de profonde déprime, se préoccupe de l’éducation de sa sœur, se découvre très flirt.

Le 6 juin 1944, en lettres capitales, elle annonce le débarquement des alliés et, en post scriptum, qu’elle a des boucles d’oreilles très jolies.

En juillet 1946 elle commence à travailler chez deux avocats malgré le peu d’intérêt qu’elle trouve à son travail, elle s’y résigne parce que : "Maman n’a presque plus d’argent… Et c’est à moi d’assurer l’éducation et l’instruction de Françoise. Je le ferai ! " Avec le procès de Victor Kravchenko dont un de ses patrons assure la défense elle va trouver du sens à ce quelle fait. Après de vaines recherches, l’espoir de voir revenir son Papa ayant disparu, elle se sent seule, jalouse des enfants qui ont leur père. Malgré tout elle espère se marier, avoir des enfants, une vie choisie.

15 mars 1949 […] : "même si les débuts dans la vie sont durs, je veux les traverser seule, ce sera une victoire pour mon amour-propre. Je suis heureuse de travailler, de lutter, de persévérer, je suis heureuse de vivre ! Et je veux me marier seule ! J’ai besoin qu’un homme me trouve et pas qu’on l’ait aidé à me trouver." Et quand on la quitte, quelques mois plus tard, ses désirs semblent sur le point de se réaliser.

Marise Crémieux-Hurstel a choisi de faire don du manuscrit original au mémorial Yad Vashem de Jérusalem où il va rejoindre quelque quarante millions de documents et témoignages.

* Pour joindre Nicole Zimermann : nicolehurstel@gmail.com