Martine Mathieu-Job et Leïla Sebbar : L’Algérie en héritage, récits inédits réunis par

vendredi 12 juin 2020, par Françoise Lott

éditions Bleu autour, 2020

Après avoir sollicité la mémoire de ceux qui ont vécu en Algérie et ont dû la quitter - Kabyles, Arabes, Juifs, pieds-noirs -, Leïla Sébbar , cette fois-ci avec Martine Mathieu-Job, s’est tournée vers leurs enfants. Eux qui sont nés en France, ou qui ont quitté très jeunes l’Algérie, comment ont-ils perçu le passé de leurs parents, qu’ils soient tous deux venus de là-bas, ou qu’il n’en soit venu qu’un seul ? Elles se sont adressées à des artistes, - écrivains, cinéastes, peintres, musiciens -, et voici quarante variations sur le thème de l’exil.

Le silence. Il se décline de diverses façons mais il est omniprésent. L’un parle d’ « omerta familiale », un autre dit « qu’il écrit pour parler à leur place », un autre encore dit qu’il veut combler « un étourdissant silence ». Un père harki s’est enfermé dans le mutisme. En quelle langue ces enfants d’Algériens ont-ils pu découvrir les secrets que cherche à cacher ce silence ? Ce n’est pas l’arabe. « Je ne parle pas la langue de mon père », pourraient-ils presque tous dire. Une écrivaine, jeune adulte, apprend l’arabe dialectal, et n’arrive pas à prononcer certains mots, trop loin de sa langue maternelle. Peut-être aussi des parents ont-ils voulu protéger leurs enfants en tenant secrète la langue dans laquelle ils ont souffert ? C’est en français que ces écrivains veulent dévoiler ce passé et, souvent, « éponger les larmes d’exilé » de leurs parents.

La guerre. Elle en a meurtri beaucoup. Ils veulent laisser derrière eux une part de leur histoire, « misérable et endeuillée ». Ils parlent cependant de sang versé, de sauvagerie, du malheur des femmes. Certains étaient des paysans pauvres et analphabètes, furieux de la colonisation « qui a maintenu les indigènes dans l’ignorance ». Un fils qui découvre que son père s’est engagé dans l’armée de libération conclut : « Je suis donc né chez des héros ». Un autre comprend la douleur des pieds-noirs qui ont tout quitté sans espoir de retour. Un autre encore que l’histoire de son père est une « histoire de misère, d’antisémitisme, de meurtre ». De multiples mémoires blessées. Et pour les enfants, la difficile recherche de leur identité.

Mais la guerre n’est pas la seule source de leurs souvenirs. Un père analphabète était un merveilleux conteur et ainsi a fait sentir à ses enfants « le lien invisible qui les unissait à la terre ». Un fils imagine l’enfance de son père, participant aux grandes transhumances, ou entouré du respect que l’on portait à un Caïd. On peut, en terre d’exil, chanter des chants kabyles, aimer les musiques de là-bas. Un jeune cinéaste voudrait tourner un film sur ses « vieux ». Un oncle récite à son neveu « la généalogie de sa famille jusqu’à l’époque ottomane ». Parfois sont évoqués le parfum et la saveur de la cuisine de là-bas. Certains font l’expérience du voyage vers le pays d’origine, et ont la douce surprise de s’entendre dire « Tu es des nôtres », « Tu es ici chez toi ». Mais il y a aussi le cuisant souvenir de plages « interdites aux Arabes », l’ami de l’école qui se détourne quand il croise son ami algérien dans la rue.

Les enfants ne veulent pas que s’efface cet héritage, douloureux ou apaisé. C’est cette exigence qui a certainement contribué à faire d’eux des écrivains, des artistes.