Michel Moret : le vieil homme et le livre

jeudi 13 mai 2021, par André Durussel

Editions de l’Aire, 2021

Michel Moret, né en 1941, a fondé en 1978 sa maison d’édition à Vevey, en Suisse romande, les Editions de l’Aire, toujours actives aujourd’hui. Il avait publié il y a vingt ans déjà avec Feuilles et racines un premier volume de souvenirs à partir de son métier d’éditeur, une saga poursuivie en 2007 avec Beau comme un vol de canards puis avec Danser dans l’air et la lumière en 2009, avec Rêver et travailler en 2017. Il la complète aujourd’hui avec ce nouvel ouvrage, Le vieil homme et le livre, le cinquième tome donc de ses Mémoires d’éditeur.

Ce métier, ou ce « rôle » d’éditeur, s’il ne s’improvise pas, n’est toutefois pas un véritable métier, et cela même s’il s’avère « extraordinaire », fort complexe et inévitablement pluridisciplinaire dans sa pratique. Il vient en effet s’insérer comme un maillon indispensable entre l’auteur et le libraire, afin d’assurer un « produit » de qualité au lecteur, sans autoédition, reconnu et homologué officiellement avec un numéro ISBN et géré par un ou plusieurs diffuseurs. L’éditeur assume en effet cette part de risque inhérente à toute publication : ce que je décide d’éditer va-t-il se vendre, c’est-à-dire trouver son public auprès des libraires qui accueillerons et le mettrons dans leur vitrine, virtuelle ou non ? C’est toujours une forme de loterie. Dès lors, la tentation demeure très grande, pour l’éditeur, de développer durant son activité éditoriale une certaine frustration inconsciente après avoir mis sur le marché du livre une cohorte impressionnante de jeunes ou de moins jeunes écrivaines et écrivains reconnus ou débutants et qui, sans son intermédiaire, seraient demeurés dans l’ombre. Il risque dès lors de succomber à ce « ressentiment envieux » (selon une formule du sociologue français Pierre Bourdieu) et tenter d’écrire à son tour ses Mémoires d’éditeur, mais qui, sur le plan littéraire, ne parviendront jamais à lui enlever son étiquette d’éditeur, soit plus de 1500 titres publiés pour les Editions de l’Aire.

L’éditeur qui décide ainsi de passer dans le camp des auteurs y parvient avec plus ou moins de bonheur ou de succès. Il le fait en général pour raconter ses propres expériences et sa vie d’éditeur. C’est cela qu’avait déjà réalisé en 1969 l’avocat genevois Edmond Buchet, celui qui fut le patron des Editions Buchet-Chastel de 1935 à 1968, avec son ouvrage intitulé : Les auteurs de ma vie, ou ma vie d’éditeur :
Mes auteurs, c’est-à-dire ceux avec qui j’ai senti dès les premiers contacts des affinités instinctives, je les ai non seulement lus et relus, j’ai assisté à leurs créations, autrement dit à leurs naissances successives, j’ai été leur premier lecteur, leur premier critique, parfois même leur correcteur, leur collaborateur. Lié à eux non seulement par des contrats, mais par toutes sortes d’intérêts où le matériel et le spirituel se mêlaient parfois au point de se confondre, je suis devenu leur ami, j’ai connu le vrai visage qu’ils cachaient sous les masques qu’ils s’étaient fabriqués, je les ai vu dans les coulisses de ce théâtre permanent qu’est la vie littéraire, arrogants ou désarmés, presque toujours écorchés.

Michel Moret sera certainement en plein accord avec ce témoignage. Or, son « vieil homme » évoque plutôt et surtout, sur une centaine de pages, ses très nombreux voyages, ces « fragments de vie » à la découverte du monde (selon C.F. Ramuz), mais toujours en relation avec ses propres lectures et les auteurs de sa vie. Ainsi, par exemple, ce Chant du monde de Jean Giono (p.43), qui l’a poussé à créer une collection de grands classiques sous ce titre.

Ce petit livre de Michel Moret, serein et plein de lumière, se laisse lire d’un seul trait.