Michel Onfray : La puissance d’exister : manifeste hédoniste

mercredi 11 octobre 2006, par Philippe Lejeune

Grasset, 2006

« Je suis mort à l’âge de dix ans » : c’est la première phrase de ce livre, le dernier d’une série d’une trentaine d’ouvrages, dans lesquels Michel Onfay développe une philosophie hédoniste, libertaire et athée. On peut entrer dans ses vues, ou les rejeter violemment. Mais on ne peut pas faire l’impasse sur sa personne. C’est une philosophie livrée avec l’histoire de sa genèse, et qui prend le risque de l’exemple. Une philosophie qui a le souci de dire d’où elle vient, avec la passion de s’appliquer autant que de s’expliquer.

Dans la plupart de ses livres, vous trouverez un « moment autobiographique », ou plusieurs. Souvent, c’est un texte liminaire, un prélude, une ouverture, j’emploie des termes musicaux parce que ces textes, qui donnent la note, le sont. Vie et philosophie sont harmonisées, si je puis dire. Le premier chapitre de La Puissance d’exister raconte le supplice qu’il a vécu dans un orphelinat religieux où ses parents l’avaient placé. Mais ouvrez La Raison gourmande et vous y trouverez le paradis perdu du potager paternel. Ouvrez L’Art de jouir, il commence par une « Généalogie de ma morale », qui est le récit d’un infarctus et d’un passage en réanimation.

Ces textes sont splendides par leur sobriété et leur intensité. Ils ne sont pas bavards, reproche qu’on pourrait faire parfois aux développements philosophiques. Ils ne sont pas non plus « narcissiques », ils trouvent la juste distance. Ce ne sont pas les fragments d’un portrait, qu’on pourrait souhaiter réunir pour construire la figure de l’auteur. Tel n’est pas le propos. C’est de l’autobiographie en situation. Mais ce n’est pas non plus de l’autobiographie à thèse. La pensée se met à l’écoute de la vie, non la vie au service de la pensée. On est dans une sorte de laboratoire existentiel. Michel Onfray aime à se placer sous le patronage de Nietzsche. On pense aussi au Sartre des Carnets de la drôle de guerre, ce Sartre qui disserte sur « mobiles et motifs » à partir d’une querelle avec son adjudant-chef et qui, pour un oui pour un non, « fait un historique » de ses rapports avec l’argent, l’amour, l’adolescence, l’idée de France. Ce Sartre qui jubile en décrivant ainsi sa méthode au Castor : « Je n’essaie pas de protéger ma vie après coup par ma philosophie, ce qui est salaud, ni de conformer ma vie à ma philosophie, ce qui est pédantesque, mais vraiment vie et philo ne font plus qu’un ». Une formule que signerait sûrement Michel Onfray.

Dans son dernier livre, après le tableau de son séjour en orphelinat, il prend la peine de montrer qu’une philosophie n’est à prendre en considération que si elle s’articule avec la vie du philosophe. En amont, par une réflexion sur ses sources : « Entre le refus du moi et l’égotisme forcené, une place existe pour donner au je un statut singulier : une occasion d’appréhender le monde afin d’en percer quelques secrets. L’introspection philosophique donne les moyens d’un point de départ. En aval, par un engagement social et politique : « La preuve du philosophe ? Sa vie. Une œuvre écrite sans la vie philosophique qui l’accompagne ne vaut pas une seconde de peine ».

La suite de ce « Manifeste » fait le tour des cinq engagements de ce philosophe qui a quitté l’Éducation nationale pour fonder à Caen une Université populaire : une Éthique élective, une Érotique solaire, une Esthétique cynique, une Bioéthique prométhéenne, une Politique libertaire. À chacun de nous ensuite de dialoguer avec lui, pensée à pensée, vie à vie.