Michèle Cohen : la Rédactrice

jeudi 1er juin 2023, par Véronique Leroux-Hugon

Éditions du Panseur, 2023, 260 p., ill.

Du chapitre Ne pas savoir au dernier, Langue de coton, Michèle Cohen tisse ici, sur une trame légère autant qu’élégante, les fils d’une autobiographie, sous couvert de l’évocation d’un métier, celui, apparemment vague, de rédactrice.

Cela commence par des exercices d’écriture, cela continue par des histoires d’origines, de rencontres, de modes d’emploi du type : « Comment j’ai appris à écrire à coups de pied au cul », toujours contés avec humour, mais aussi passion ; passion pour les mille ruses de l’écriture, on devrait dire des écritures, la publicitaire, la poétique, d’autres encore comme celle, désopilante, de la rédaction d’une pub pour le « PQ », ou pour les qualités d’une lessive.

De petits textes, saupoudrés de malice comme de sucre glace, confectionnent un palimpseste de courriers divers, de la requête formatée à la confidence. Ainsi un presque poème sur le chant des oiseaux voisine avec le match Levinas-Spinoza (excusez du peu). L’ombre de Perec plane évidemment sur ces exercices, par exemple quand l’auteure rédige un texte érotique devenu… pudique. On lira ici un bel hommage à l’APA, dressé par Michèle Cohen rédactrice occasionnelle à La Faute à Rousseau, malgré de sévères injonctions quant à l’abondance de sa prose, qu’elle apprend à réduire (ah ! les 3500 signes…). Avec élégance, la rédactrice aborde aussi des questions plus tragiques, en évoquant le sort des Dublinés, ou celui des Juifs parqués dans l’immeuble Lévitan, transformé en salle d’attente avant Drancy.

Mine de rien on progresse. Ainsi on apprend dans ces courts chapitres comment fabriquer du son, dans une description à la fois fine et explicite, en hommage à Yann Parenthoën, dont les (vieux) auditeurs de France Culture se souviennent sans doute, radio où a travaillé longtemps la rédactrice, notamment au fameux Atelier de Création Radiophonique. Elle décrit une technique subtile, très élaborée pour obtenir l’harmonie sonore (le terme est faible). D’ailleurs on imagine les notules de la rédactrice mises en musique, orchestrées, au même titre que ses broderies ont été exposées : incorporer de la poésie aux fils de couleur, broder savamment recto-verso.

Mais avant de comprendre la langue de coton, notons la place de la poésie dans cette affaire. C’est dans ce livre que, n’y connaissant rien, j’ai appris ce qu’était un monostiche et a fortiori un monostiche à broder, qui me semble être l’invention originale de l’auteure. La longue fréquentation de poètes, parfois sévères ou ingrats, dont elle est la muse dévouée, l’a accoutumée à cet art d’écrire, lui a donné l’envie de broder des poèmes.

De la broderie, elle parle à la fois joliment et savamment, pour élaborer des ouvrages (de dames) fort sophistiqués. Quel plaisir de la voir ici manier l’aiguille et les couleurs, entrelacer l’alphabet et ces mots qu’elle savoure. Elle s’empare de ces poèmes d’une ligne, ceux qu’elle écrit ou ceux qu’on lui envoie, pris au jeu, elle en fait la matière d’une tapisserie personnelle, au petit point, telle que reproduite en fin de ce beau livre que j’ai trouvé jubilatoire. Il s’achève sur un éloge de cette activité, « qui n’intéresse pas grand monde, qui ne demande pas beaucoup d’espace, qui ne coûte pas cher, […] donne une merveilleuse liberté. »