Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon : Notre vie chez les riches, mémoires d’un couple de sociologues

dimanche 13 mars 2022, par Elisabeth Gillet-Perrot

Editions La Découverte, Collection Zones, 2021

Comment deux sociologues, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, ont réussi à écrire leurs mémoires à quatre mains, voici ce que l’on découvre avec bonheur en lisant Notre vie chez les riches, un texte qui mêle de façon plaisante anecdotes et références scientifiques.

Monique et Michel se sont rencontrés sur les bancs de la fac de Lille avant 1968 et ne se sont pas quittés depuis. Le père de Monique était procureur de la République tandis que la mère de Michel faisait des ménages, c’était donc déjà deux mondes différents à observer, deux familles aux profils sociologiques contrastés ! Ils choisissent de soutenir leur maîtrise à deux, ce qui ne se fait pas mais comme ils semblent ne faire qu’un, ça passe ! Ils entrent ensuite au CNRS.

Au moment du service militaire, Michel ayant opté pour la coopération se voit proposer un poste au Maroc. Pour que Monique puisse enseigner au lycée alors qu’elle n’a pas 25 ans, il leur faut se marier. Le fait d’être mariés leur servira plus tard à faire leurs enquêtes dans le « beau monde » car cela inspire confiance.

Michel a la chance de suivre à Lille pendant deux ans les cours de Pierre Bourdieu. Il dira que sa réflexion intellectuelle en est restée marquée pour toujours. Bourdieu de son côté, après une de ses leçons au Collège de France, confiera à Michel : « J’apprécie la façon dont vous travaillez avec les médias, je vous écoute à la radio. Vous arrivez vraiment à faire passer la sociologie. »

Le couple a choisi comme sujet d’investigation le large thème des dominants car, à la fin des années 70, ce qu’on appelle alors la « bourgeoisie » demeure « un objet mal identifié, non analysé » que Pierre Bourdieu désigne ainsi : « un ensemble flou où les professions libérales côtoyaient les marchands de biens, où les entrepreneurs, petits, moyens ou grands, voisinaient avec les rentiers dans une confusion sociologique extraordinaire ».

Après avoir épluché le Bottin mondain, ils se font recevoir à un cocktail. Ce sera leur premier terrain d’études. Ils doivent y jouer les équilibristes puisqu’ils participent comme les autres invités tout en étant aussi observateurs. Ils suivront aussi une chasse à courre en forêt de Rambouillet où ils sont surpris de constater que les participants sont de milieux contrastés : familles fortunées des beaux quartiers mais aussi facteurs, agriculteurs et cantonniers, tous passionnés par la vénerie. Ils inventent également les promenades sociologiques dans Paris : à pied, tous les matins dès 6 heures : « On peut marcher du VIIème au XXème arrondissement comme on irait des rentiers et des banquiers aux ouvriers les plus précaires, en observant comment les divisions sociales se marquent dans l’espace urbain ».
Ils étudient aussi les personnes devenues millionnaires en gagnant du Loto et analysent, par exemple, la façon dont un ancien ouvrier communiste peut accueillir ses amis sur les propriétés qu’il a achetées en Sologne.

Il faut attendre la fin du livre pour voir ces anciens communistes se mettre à juger les prises de position du Président de la République, Emmanuel Macron, qui est bien pour eux, « le Président des riches » : « L’ennemi de la République, c’est une idéologie économique, sociale et politique qui s’appelle le capitalisme et aujourd’hui le capitalisme radical, qui a l’objectif de diviser les Français entre eux pour pouvoir continuer à régner en maître absolu ». Ils ont alors abandonné leur posture d’observateurs. La messe est dite !

A noter : on peut voir en ce moment au cinéma un plaisant reportage de Basile Carré-Agostini, A demain mon amour, qui suit avec humour et tendresse les Pinçon-Charlot dans leur vie quotidienne et leur militantisme d’aujourd’hui.