Nancy Huston : Bad girl

dimanche 14 décembre 2014, par Catherine Vautier-Péanne

Actes Sud, 2014

Certains ont pu parler « d’autobiographie utérine » à propos de ce livre de Nancy Huston, mais il s’agit bien de son autobiographie à sa façon habituelle qui est la polyphonie, à laquelle elle nous a habitués depuis longtemps. Elle est en effet habitée par des voix qui l’accompagnent depuis son enfance entre un père victime de confusion mentale et une mère frustrée par sa maternité dans ses aspirations de femme libre.

Elle s’adresse au fœtus, mais pas seulement, elle se parle à elle-même à tous les âges, convoquant des lectures qui l’ont aidée à comprendre sinon à pardonner : la liste est longue des auteurs cités – une majorité de femmes - à commencer par Annie Ernaux (elle pense que sa mère a voulu se débarrasser de l’embryon), Virginia Woolf, Louise Bourgeois, Ingeborg Bachmann, Simone Weill, mais aussi Romain Gary, Samuel Beckett, le philosophe Alain.

Elle explique à propos de sa mère : « Ce qu’il faut comprendre des femmes de cette génération, la première à naître après l’arrivée du suffrage féminin en Amérique du Nord (1920), c’est qu’elles croyaient possible de tout réconcilier. Aujourd’hui, plus personne ne le croit. Hélas, tandis qu’on élevait les filles à la fois comme filles et garçons, on continuait à élever les garçons comme des garçons » (p.132).

Elle a six ans lorsque sa mère la remet si l’on peut dire entre les mains de sa remplaçante car elle a à faire ailleurs. Nancy Huston ne se remettra jamais de cet abandon maternel. La belle-mère a fort à faire : « Quand à l’âge de quinze ans, tu te feras déflorer par ton professeur d’anglais, elle jettera l’éponge. Renoncera une fois pour toutes à être ta mère. Te rendra au père ». On comprend sa douleur à toutes les lignes, même si elle trouve du réconfort dans les livres, la musique, et les voix qui lui font écho (elle s’invente des amies depuis toute petite) car c’est le regard de sa mère qui lui manquera à jamais. D’où vient-elle ? Qui est-elle ? D’où écrit-elle ? De là, elle est le fruit de cette histoire singulière : « Voilà, les éléments du drame sont en place » dit-elle. C’est dit. Et bien dit.