Nathalie Léger : Supplément à la vie de Barbara Loden

mercredi 4 avril 2012, par Élizabeth Legros Chapuis

P.O.L., 2012

Une femme nommée Wanda

Le point de départ du court récit de Nathalie Léger est infime : pour un dictionnaire de cinéma, la narratrice est chargée d’écrire une notice sur Barbara Loden, actrice américaine un peu oubliée, réalisatrice d’un film unique, Wanda (1970), et connue surtout pour avoir été l’épouse d’Elia Kazan. Début d’une enquête, d’un jeu de piste dont l’objet, sans cesse, se dérobe. D’emblée, il est clair que le travail effectué va dépasser la mission envisagée, malgré l’avertissement de l’éditeur : « Je vous en prie, faites-moi une notice, pas un autoportrait ». Qui était vraiment Barbara Loden et pourquoi exerce-t-elle une telle attraction sur la narratrice, qui va aller jusqu’à s’identifier à elle – soit directement, soit en l’associant à sa mère – c’est ce que le récit va tenter de déterminer, à travers une patiente reconstitution des faits, une recherche de données toujours elliptiques, toujours lacunaires. « Décrire, rien que décrire », c’est l’objectif qu’elle se pose, consciente des limites entre lesquelles elle doit se situer : « J’hésite entre ne rien savoir et tout savoir, n’écrire qu’à la condition de tout ignorer ou n’écrire qu’à la condition de ne rien omettre. »

La narratrice se rend aux États-Unis, collecte des documents, suit des pistes. Elle contacte le fils de Barbara Loden, qui se montre cordial, mais peu coopératif. « Je ne peux pas lui dire que je cherche avec rage le journal intime de Barbara Loden. Je ne peux pas lui dire que ce qui m’intéresserait dans ce journal, s’il existait, ce ne serait pas le bonheur, l’élan, la joie ni la satisfaction, mais la plainte, l’impuissance, les listes absurdes, le non-lieu des sentiments. » Elle explore la région, en Pennsylvanie, où fut tourné le film Wanda : un coin perdu de l’Amérique profonde, une zone de mines de charbon désaffectées. Elle y rencontre Mickey Mantle, joueur de base-ball des années 50, mais ce n’est pas tant de Barbara Loden qu’ils vont parler, bien plus des enjeux de l’écriture et de ses difficultés.

Finalement, la voie suivie consistera à utiliser toute une série d’écrans ou de miroirs dans lesquels va se refléter la figure de l’actrice disparue. D’abord à travers le personnage emblématique que celle-ci avait créé, à partir d’un fait divers, pour son unique film en tant que réalisatrice : « Délaissant la notice ou l’excédant malgré moi, j’ai cherché pendant plusieurs mois à reconstituer la vie de Barbara Loden, surtout dans ce moment où elle-même tentait, à partir de la vie d’une autre, d’inventer un personnage qui soit le plus proche d’elle-même. Wanda. » Mais aussi à travers d’autres femmes : des actrices contemporaines de Loden, comme Marylin Monroe, et des femmes écrivains qui, mieux que tout autre, ont su dire le manque, la perte et l’impossibilité à se décrire soi-même : Sylvia Plath, Marguerite Duras.

Ce que l’on peut dire de soi se révèle ainsi, bien souvent, en faisant un pas de côté vers quelqu’un d’autre, vers autre chose. Vers des lieux inconnus, vers des chambres d’hôtel anonymes : « Je me suis rappelé que c’est dans les chambres étrangères que nous pouvons saisir la sensation la plus juste parce que la plus égarée de notre existence », Olivier Rolin en sait quelque chose. « On s’obstine parfois à vouloir substituer une image à la réalité, on veut épuiser les lieux, les vider une bonne fois de leur pouvoir, faire cesser ce léger tremblement de l’image à l’énoncé d’un nom, on cherche un air de ressemblance, on veut reconnaître un paysage à défaut d’un visage ou d’un souvenir. » Sans rien en lui qui pèse ou qui pose, le récit de Nathalie Léger nous amène à refaire ce parcours.