Paule du Bouchet : Debout sur le ciel

jeudi 7 mars 2019, par Martine Bousquet

Gallimard, 2018

Sept ans après Emportée, où elle évoquait la liaison douloureuse de sa mère avec René Char, Paule Du Bouchet compose une sorte d’adagio intime, un portrait de son père qui, en même temps, est aussi son propre autoportrait.

« Mon père est mort le 19 avril 2001, le jour de mon anniversaire. Celui de mes 50 ans. Passé le saisissement de ce rapprochement, j’ai compris qu’il s’agissait d’un don qu’il m’avait fait et que, au fond, cela racontait très particulièrement mon histoire. Ma relation avec lui. Et qu’il allait être nécessaire, à un moment, de mettre cela en mots. »

André du Bouchet donc, poète majeur de la génération des années cinquante-soixante, après le départ de sa femme, a la garde de ses deux enfants, Paule et son frère Gilles, les jeudis et chaque fin de semaine où ils vont à Dampsmesnil, la maison achetée par la grand-mère dans le Vexin normand. Ils partent aussi l’été un mois en vacances en train et en vélo, logeant chez l’habitant ou chez des amis artistes en Bretagne, dans le Périgord ou le Midi. Des vacances extraordinaires pour Paule où, dit-elle ,« on apprend à être “à hauteur”, pas “à la hauteur” à hauteur de relation, à hauteur d’homme. »

Paule raconte certains épisodes de leur vie quotidienne : les balades, les cueillettes de fleurs comestibles ou la recherche de silex vus comme des outils en prolongation du crayon, les longues soirées à lire, à écouter de la musique, à déguster des pieds panés cuisinés à la hâte devant un feu de cheminée. Elle se souvient du cliquetis de la machine à écrire le matin, des objets de la maison comme la statuette mésopotamienne à coté d’une poupée russe en porcelaine rapportée d’un voyage par Natalie Sarraute. Ou encore de ce jour où, « triste et libre » après une rupture amoureuse, son père lui a dit que la tristesse n’est ni le désespoir ni la souffrance, qu’elle va avec l’air, avec l’espace.

Ainsi se dégage par petites touches au travers de ses souvenirs le beau portrait d’un père pourtant secret qui refuse de raconter son enfance, se tenant comme un étranger dans sa propre famille, tout comme à son ascendance juive russe et préférant dire : « je me mets moi-même au monde chaque jour. » Un père, poète avant tout, écrivant "debout sur le ciel", sensible à la nature et à l’infinitésimal, prescience de sa connaissance intime de la mort.

Elle n’a pas oublié l’injonction : « Tu dois écrire » que son père lui a fait, après la lecture de ses lettres envoyées lors d’un voyage au Pérou. Dans sa famille ce qu’il y a à dire doit être écrit, et elle ne s’est pas dérobée, elle a écrit avec grâce, dans une prose émouvante, un livre profond et tout en subtilité.