Philippe Artières : Vie et mort de Paul Gény

mardi 26 février 2013, par Denis Dabbadie

Seuil, 2013

J’ai bien connu Philippe Artières lorsqu’il était rédacteur en chef de La Faute à Rousseau (c’est à lui que nous devons le nom de notre revue préférée !). Historien spécialiste, entre autres, des vies de criminels, c’est lui qui me proposa de découvrir à ses côtés les Archives russes d’État à Moscou : nous y passâmes toute une semaine, du matin au soir, malgré l’avertissement de leur terrible directrice d’alors (Madame Volkova – « Le loup ») qui, dès le premier jour, nous avait convoqués dans son bureau pour nous signifier : « Je tenais à vous prévenir que vous ne trouverez rien ici qui puisse vous intéresser » !

Je le retrouve aujourd’hui à la faveur de la parution de Vie et mort de Paul Gény , texte intitulé « récit », publié dans la collection « Fiction & Cie » du Seuil. Plutôt, en l’occurrence, « fission et compagnies »…

« Fruit d’un séjour d’une année à la Villa Médicis comme pensionnaire de l’Académie de France, section écriture », comme l’auteur le définit lui-même, l’ouvrage se présente tout d’abord sous la forme d’un journal avec une entrée du 28 avril 2011 : « Cet après-midi, j’ai acheté ma première soutane ». De même qu’il ressent une maligne excitation à errer dans cet accoutrement à travers la Ville Éternelle, l’auteur semble, en fait, se plaire à brouiller les pistes (attendre, par exemple, la page 211 pour trouver l’entrée devant suivre celle de la page 34 !). L’objectif avoué demeure dans sa spécialité : décrypter l’énigme du meurtre de son arrière-grand-oncle jésuite, Paul Gény, par un certain Bambino Marchi, déclaré fou. Mais notre historien fait l’histrion ! Il va jusqu’à fabriquer de fausses images pieuses qu’il fait déposer dans les églises par sa mère et sa fille… Errances, erreurs… Le chemin qui mène à la vérité serait-il pavé de leurres ? History devient his story…

« Étrange entrecroisement de l’histoire collective et de l’histoire psychique individuelle, ce crime n’avait pas eu de récit » : Philippe Artières nous l’offre ici, qui se rêve tantôt philosophe à l’Université grégorienne comme son aïeul, tantôt frère de ce Bambino (ce nom « qui laisse planer un soupçon de fiction »), cet enfant qu’il est resté, comme le suggère une ultime révélation… Il a aussi retrouvé, dans le charivari des archives, les textes de l’un et de l’autre, que le lecteur, troublé, a le loisir de conclure interchangeables. Qu’est-ce qui ressemble plus à un fantôme qu’un autre fantôme ?

Traquant la multitude des traces de vie, l’ensemble dérange, intrigue, à l’image de ces façades romaines, telle celle de Santa Maria du Trastevere : « ont été montés des fragments d’écrits gravés qui forment un texte unique. Si l’on déchiffre un fragment, la totalité sous nos yeux demeure étrange et énigmatique ». Moi qui croyais connaître Philippe Artières…