Philippe Lejeune : Autogenèses - Les brouillons de soi 2

lundi 29 avril 2013, par Denis Dabbadie

Seuil, 2013

« La mort seule aura le dernier mot ». Ce sont les dernières lignes du nouvel ouvrage de Philippe Lejeune, Autogenèses, que j’entendais pourtant d’emblée comme « autojeunesses »… Il s’agit là de la seconde livraison des Brouillons de soi, dont tout amateur des « écritures du for privé » avait pu apprécier le premier volume en 1998. Ce nouveau tome regroupe des textes écrits entre 1999 et 2011, études en fait dites « génétiques » en ce qu’elles s’attachent à suivre les « sentiers de la création » autobiographique. Nous redécouvrons ainsi le « monde en chantiers » – comme Jacques Demy avait son « monde en chanté » – de l’infatigable chercheur. Une des qualités de l’un comme de l’autre : la générosité. L’auteur ne manque jamais de marquer les territoires – nombreux – qui restent à explorer.

Est-ce d’avoir récemment réglé mes propres obsèques ? Je me suis étonné de rencontrer ici tant de figures de la vieillesse. Il est vrai que j’ai lu ces pages dans l’ordre – de la première à la dernière, sans en passer une seule. Je distinguerais volontiers deux postures de lecture : celle des autobiographes, fidèles (comme moi) à la lettre, à la continuité, et celle des diaristes, enclins à un parcours sautillant, jusqu’au picorage (certes, chacun a le droit de se situer entre l’une et l’autre). Une chose est sûre : tous trouveront là matière à réfléchir (mais l’auteur s’interroge aussi sur le simple fléchir…), autant qu’à rêver.

C’est bien ce qui me surprend : vieillesse et mort hantent ces pages, alors que l’auteur me paraît être quelque part toujours un adolescent rêveur, qui n’est pas près d’épuiser les délices de ces jeux-enjeux (« en je », anges ou pas) de pistes dans lesquels il nous entraîne.

Préfèrerez-vous le véritable « précis d’autobiographie » qu’il trouve chez sa chérie Marie d’Agoult (1805-1876) ou, comme moi, la virtuose saisie de l’insaisissable chez Paul Léautaud dans sa soixante-dix-huitième année ? Je craque en effet à sa remarque : « il y a, dans la physionomie qu’on prend, un certain charme à être un vieux monsieur (en bon état) ».

Professeur Lejeune, vos lecteurs vous en conjurent : ne cédez pas au goût de boucler que vous analysez avec tant de pertinence (chapitre « Comment finissent les journaux ? ») ! À quand des Brouillons de soi, 3 ? (un proverbe russe proclame « Dieu aime la Trinité »…) ? Votre vocation est de débrouiller et débroussailler encore et encore… Vive toutes ces « écritures décalées, rendant sensible le gouffre vertigineux qu’est une vie » (cet extrait de Moi aussi semble le prolongement de l’aveu datant de 1801 et signé Pierre Hyacinthe Azaïs) ! Qu’à la fin (comme au commencement, quand bien même on n’y croirait guère) soit encore le Verbe : le mot seul aura la dernière mort !