Philippe Sollers : Un vrai roman. Mémoires

dimanche 12 décembre 2010, par Bernard Massip

Plon, 2007

Sollers est un auteur qui suscite facilement rejet ou enthousiasme (et plus souvent rejet qu’enthousiasme). Moi-même je suis souvent agacé par ses postures, j’apprécie modérément ceux de ses romans que j’ai lu, dont je trouve l’écriture souvent par trop sophistiquée, riche de réflexions aiguës mais aussi de positions volontiers provocatrices, voire déplaisantes.

Mais je viens de lire et de beaucoup apprécier Un vrai roman. Mémoires, un texte relativement récent (2007), dans lequel Sollers affirme une volonté de clarification de son aventure personnelle. Certes le goût du paradoxe est là dès le titre. Les mémoires sont un vrai roman, tout comme les romans sont profondément irrigués par la vie même de Sollers qui pratique avec délectation dans toute son œuvre le montré/caché et aime à laisser ses lecteurs dans l’ambigüité. Sans doute en est-il ainsi aussi ici. Mais néanmoins j’ai eu ici le sentiment de rentrer avec moins de faux semblants dans le personnalité, le parcours et les valeurs de cet homme, de découvrir également, de façon moins codée ou allusive que dans d’autres de ses livres, quantité de vues intéressantes sur l’histoire intellectuelle du dernier demi-siècle.

On découvre son enfance dans son milieu privilégié bordelais parmi les femmes, au milieu des jardins et la nostalgie qu’il en garde. On comprend que l’essentiel chez lui s’explique par la primauté qu’il accorde à la littérature et à l’art dans la gratuité par opposition à la politique qui n’avait de sens qu’en tant que révolte et à la vie sociale en général, c’est « la magie blanche de l’art » contre « la magie noire de la société ». On découvre ses lectures fondatrices, ses rencontres intellectuelles essentielles et ses femmes capitales, Dominique Rolin et Julia Kristeva. On perçoit son goût des femmes et des jouissances comme affirmation de vie face à une mort qui, si l’on suit Épicure, en vérité n’existe pas, n’est que la pensée que, vivant, on en a. On le suit dans son admiration du beau 18°, dans son plaidoyer pour un certain aristocratisme de « l’homme de goût » face à la « plate époque » moderne du politiquement correct et de la marchandisation généralisée, « plèbe en haut, plèbe en bas ».

Certes j’ai ressenti aussi un certain agacement devant des plaidoyers pro-domo par trop insistants, devant une certaine tendance au mépris à l’égard des autres de cet esprit qui se sent supérieur, devant l’affirmation d’une satisfaction de soi sans mélange (on peut se demander d’ailleurs s’il ne la surjoue pas quelque peu : il laisse entendre aussi ici ou là qu’il y eut dans sa vie des moments de franche dépression, au bord du suicide). Comme toujours chez Sollers, la digression est intensivement pratiquée mais d’une façon qui ici paraît moins gratuite que parfois, contribuant, comme les pièces d’un puzzle, à l’approfondissement du portait.

Certaines pages aussi sont très belles, littérairement parlant, ce qui ne gâte rien, notamment celles qui évoquent son enfance bourgeoise bordelaise, certaines de ses rencontres, certains lieux comme Venise et comme de ce bord d’océan, à Ré, où il écrit le présent livre. Au total c’est un livre que j’ai lu avec un vrai plaisir, qui apprend beaucoup et qui fait réfléchir, qui permet de mieux appréhender Sollers, y compris dans ses contradictions et qui, en faisant percevoir un peu de la personne derrière le personnage, éclaire de façon très intéressante l’ensemble de son œuvre.