Pierre Bergounioux : Carnet de notes

mercredi 22 octobre 2008, par Joël Poiret

Verdier, 2006

Avec les 2200 pages des deux volumes de ses Carnets de notes, journal des années 1980 à 2000, Pierre Bergounioux nous offre une lecture d’une densité jamais rompue. Se faisant le greffier de sa propre vie, c’est en styliste, l’un des plus remarquables de la littérature contemporaine, qu’il consigne l’ordinaire des jours.

Bien que commencé « parce que [je sens] que s’effacent, à peine posées, les touches légères qui confèrent aux heures de notre vie leur saveur, leur couleur », le 1er tome de ces carnets s’avère le plus teinté de tragique avec sa cohorte d’inquiétudes liées à la santé des enfants ou aux « funestes saisons » avec le décès du beau-frère, après un long coma, et celui du père de l’auteur.

Mais c’est surtout par besoin d’y voir clair que sont régulièrement notés les menus faits du quotidien d’un professeur de français en collège dans la banlieue parisienne, de sa femme, chercheuse au CNRS et de leurs deux fils que l’on voit grandir puis entrer progressivement dans l’âge adulte, s’émanciper.

Pour Pierre Bergounioux, le journal, les « notes », ne diffèrent pas des autres écrits qui évoquent des lieux du passé, en Corrèze, même s’il parle du présent. Bâti autour des contraintes domestiques, de l’enseignement, de la vie de famille, le journal témoigne aussi de « lubies féroces », « passions énormes » qui l’habitent. Ainsi, dès qu’il peut quitter « la vie amère, tendue, à peine supportable … » qu’il mène en région parisienne, pour retrouver la Haute Corrèze, il s’adonne sans contraintes à la chasse aux insectes en entomologiste averti ou à la pêche à la mouche « sur la Dadalouze ».

Quand il découvre l’éventail des possibilités qu’offre la soudure à l’arc, les combinaisons surprenantes, les assemblages de vieux outils ou de « riblons » trouvés dans les casses ou dans une chaudronnerie, c’est par dizaines que naîtront les figures de métal. Pierre Bergounioux y met la même ardeur que lorsqu’il se consacre, avec son frère au « book-day » écumant les bouquinistes pour y dénicher les nombreux ouvrages qui nourriront sa soif de lecture. Lecture qu’il commente rarement, signalant simplement un titre, le nom d’un auteur.

Ce qui apparaît aussi, tout au long des pages de ce journal, c’est la hantise de tirer de chaque instant le meilleur, l’obsession de consacrer chaque jour, chaque heure à l’étude, puis à l’écriture, « venue contre toute attente, au mépris de tout » et à laquelle il s’adonne aux « heures d’or », c’est-à-dire dès cinq heures voire quatre heures du matin. On notera la précision des termes utilisés, alimentée par le désir constant du mot juste, même quand il s’agit de noter des considérations météorologiques ou de rendre compte de travaux de maçonnerie. Car Pierre Bergounioux ne rechigne pas « à mettre la main à la pâte », dressant « au cordeau les blocs de meulière », ou installant de nouveaux rayonnages de bibliothèque.

On ne trouvera sous sa plume aucune allusion au « milieu littéraire » ou marginalement, ni à la marche du monde, aux événements de l’actualité. La sphère privée est exposée mais de manière limitée. La dernière page de ces riches notes refermée, on se prend à espérer la parution rapide du tome III tant est vivifiante pareille lecture.