Raoul Garnier et Hélène de Saint-Alban : Pourquoi es-tu venu si tard ?

jeudi 12 avril 2018, par François Tézenas du Montcel

éditions V2E L’Harmattan, 2017

Devenu écrivain à soixante ans révolus, Raoul Garnier s’est, en quelques années, forgé une place d’autobiographe reconnu à travers 3 ouvrages publiés par « Vivre et l’Écrire Éditions », d’Orléans, liée à Vivre et l’Écrire, dont le regretté Pierre de Givenchy dirigea une collection chez L’Harmattan.

Ces trois ouvrages constituent une trilogie autour d’une histoire personnelle tout à fait hors normes et déterminée par trois pôles principaux : la relation à la mère, les amours homosexuelles, le désespérant désir d’enfant d’un homme seul : Le Choix du fils (2008), L’Amant du silence (2012), L’Homme qui voulait enfanter (2015). Trois livres dont la qualité indéniable n’empêcha pas une réception très chaotique, du fait que les thèmes abordés étaient plutôt osés, voire sulfureux.

On pouvait craindre – ou espérer – que le quatrième opus appartînt à la même veine. Or, bien que l’histoire familiale fût encore bien présente, il n’en est rien : le talent littéraire est toujours là, aguerri, épanoui même, mais l’auteur explore avec une grande sensibilité un nouvel aspect de son passé, grâce à une rencontre récente – ou plutôt des retrouvailles récentes – avec celle qui le considéra longtemps comme son « p’tit frère ». L’ouvrage est d’ailleurs un ouvrage « à deux mains » : un récit en prose, art dans lequel Raoul Garnier excelle, en alternance avec un certain nombre de poèmes, judicieusement insérés dans le récit, et dont l’auteure n’est autre que cette « grand’ sœur » non biologique, mais bien réelle, née en 1929, quatorze ans avant le narrateur, et qui était la fille d’une proche amie de la mère de ce dernier.

Follement éprise de ce bébé, qu’elle promenait et cajolait dans la Normandie occupée, et non sans jalousie de la part de la mère de l’enfant, Hélène fut aussi le témoin des tracasseries familiales consécutives à la mort et à la succession du père de Raoul (quelques mois avant la naissance de ce dernier). Puis elle perdit l’enfant de vue, se maria, eut ses propres enfants, divorça, se remaria… Et ce n’est qu’en 2015 que l’adolescente et le bébé des années 44 se retrouvèrent, presque inopinément, à la suite d’un écho de la presse régionale concernant les premiers livres de Raoul Garnier. L’« adolescente » avait 87 ans et le « bébé » 72 !

De ces rencontres, qui se répétèrent, naquit ce récit autobiographique, certes, mais doublement autobiographique, puisque l’évocation de la prime enfance de l’auteur côtoie, à part égale, le récit de la vie de jeunesse et d’adulte, sans fard, et en toute sincérité qu’Hélène livra à son « p’tit frère »... Le bébé de substitution était devenu un confident, qui pouvait tout entendre… et tout répercuter sous forme d’un livre fort bien rédigé, et régulièrement scandé de poèmes de cette sœur d’élection. Lorsque Raoul Garnier fait parler Hélène dans son récit en prose, on croit entendre la voix de celle-ci. Il n y a donc pas d’abus de langage ou d’aberration à parler de « double autobiographie », même si l’on ne peut pas, a priori, être l’autobiographe d’un(e) autre !

Amputé de père, fils d’une mère possessive à laquelle il a sacrifié sa vie (tout en la lui masquant), sans autres enfants que ses livres, Raoul Garnier aura eu la joie de retrouver, – bien tardivement, comme le suggère le titre – une sœur, de cœur, celle qui le prit un temps pour son propre enfant, en éveillant son instinct maternel.

Avouons que cet ouvrage apporte un éclairage délicat sur une vie familiale et sentimentale très perturbée, et espérons qu’il aura enfin apporté une certaine sérénité à l’auteur ! Mais le fils unique, aux désespérantes et fugitives amours, à la descendance impossible, n’est plus seul aujourd’hui. Retrouvée bien tardivement – le titre est explicite – cette « sœur de cœur » a permis à notre auteur d’échanger enfin tant de souvenirs et de secrets, autrement que par la littérature… même si ces retrouvailles trouvent leur épanouissement dans un livre fort émouvant, auquel les poèmes qui le ponctuent apportent une lueur extraordinaire. Comme s’il s’était agi – et il s’est bien agi – de sauver ce naufragé de la vie que fut longtemps le « petit frère » .

La dernière strophe d’un des poèmes de « la grande sœur » nous servira de conclusion :

Je voudrais être la source,
Le réconfort, la clarté,
Une oasis sur la route
De tous les désespérés
Être la main qui console
Le sourire aidant sans bruit,
Le regard, le pain, l’obole,
Une étoile dans la nuit

Je voudrais être un cri d’amour !