Régis Sauder : Retour à Forbach

samedi 10 juin 2017, par Madeleine Rebaudières

Documentaire présenté au festival international du Cinéma du Réel, 2017

« J’ai eu tort, je suis revenue
dans cette ville au loin perdue
où j’avais passé mon enfance. […]
Il ne faut jamais revenir
aux temps cachés des souvenirs
du temps béni de son enfance. » (Barbara, Mon enfance)

Régis Sauder n’a pas suivi le conseil de Barbara, il est revenu sur les lieux de son enfance, à Forbach, en Moselle dans ce qui fut le Bassin houiller lorrain. Parti depuis trente ans, il vit à Marseille où il a tourné Nous princesses de Clèves avec des lycéens des quartiers nord (en 2011) et Être là sur les soins psychiatriques à la prison des Baumettes (en 2012).

Lorsque Florian Philippot, « parachuté » à Forbach, est arrivé en tête au premier tour des élections municipales de 2014, Régis Sauder publie une lettre ouverte dans Libération : « J’expliquais, dans un mouvement de colère, que les habitants de Forbach avaient bien mérité ce qui leur arrivait. Je revenais sur les moments difficiles que j’avais passés là-bas. J’expliquais dans cet article pourquoi j’avais le sentiment que Forbach trahissait sa mémoire et comment j’avais, quelque part, trahi la ville, en la laissant derrière moi ».

« Très naïvement, la première fois que je suis venu avec une caméra pour tourner, je croyais que j’allais filmer chez moi, comme si je n’avais jamais quitté cet endroit ». « Or, évidemment, ce n’est plus chez moi. J’avais les attitudes de quelqu’un qui vient de l’extérieur et je ne suis plus forcément le bienvenu dans cette cité. Débarquant avec une caméra et un preneur de son, je ressemble à ces gens de BFM TV qui ont beaucoup contribué à stigmatiser ce lieu ».

Ce sont des œuvres de littérature dans leurs dimensions universelles et intimes qui ont légitimé Régis Sauder pour faire son film : « Le film vient s’inscrire dans un mouvement qui défend l’importance des récits de vie. La littérature en est pleine et ils m’ont aidé. J’ai été très marqué par Retour à Reims de Didier Eribon et par les livres d’Annie Ernaux La Place, La Honte, Une femme… »

On voit son père encore vivant mais qui a perdu la mémoire et ne peut plus vivre dans le pavillon familial, lequel est mis en vente. On voit Régis Sauder trier et jeter les objets accumulés pendant une vie par ses parents et la benne se remplir, dans la cour, une image saisissante qui donne à penser sur l’accumulation des « choses » comme a écrit Perec. Tous ces objets n’ont aucune utilité en dehors de cette maison et de la vie qui fut celle de ses occupants.

Une déambulation dans les rues du centre ville aux magasins fermés, dans les friches industrielles rasées ou abandonnées depuis la fermeture des Houillères. Une histoire locale marquée aussi par la frontière avec l’Allemagne : la rue principale s’est appelée « Adolf Hitler Strass » quand la Moselle était occupée pendant la Seconde guerre mondiale. Les lieux de sociabilité n’existent plus à part la mosquée. Aux fenêtres les drapeaux (de différentes nationalités), à la suite des attentats de 2015, témoignent des replis identitaires.

Combien de travailleurs étrangers étaient venus là du temps de la prospérité des Houillères ? Que deviennent-ils ? Comment vivent ceux qui sont restés ? Un état des lieux riche d’enseignement en ces temps d’élections et de menace du Front national, sans porter de jugement, en acceptant et en observant la complexité des problèmes, une écoute patiente du désenchantement.

On rencontre d’anciens amis du réalisateur, l’une est directrice d’école et ne renonce pas. L’autre a un emploi auquel il tient et pour lequel il est prêt à faire des concessions afin de payer ses traites immobilières… La patronne de café, très bavarde, disserte sur la politique et la vie telles qu’elles vont. On aperçoit l’enfant maghrébin qui occupe désormais ce qui fut sa chambre, on voit des enfants jouer bruyamment à la guerre dans un square… « J’aimerais croire qu’à Forbach tout est encore possible » conclue le réalisateur.

Un travail très juste sur la mémoire, un beau film. Régis Sauder a eu raison de revenir à Forbach. Le film l’a aidé à s’apaiser. Il parvient à éclairer des mécanismes de domination et à se réconcilier avec son passé dont il n’a plus honte. Un seul regret : la très mauvaise distribution de ce film poétique en même temps que politique, intime et universel.