René Saorgin (1928-2015) : Mémoires

vendredi 3 juin 2022, par Roland Mercadal

L’orgue n° 329-330, Revue

En revenant sur ses origines, sa formation, sa carrière, peu de temps avant de décéder à Nice en décembre 2015, René Saorgin livre, en 13 chapitres, un remarquable récit, intimiste et lucide, qui éclaire toute une période, celle d’une génération de musiciens qui, se passionnant pour les instruments anciens, leur sauvegarde et leur diffusion, furent à l’origine du renouveau des études baroques, pour l’orgue en particulier, avec Michel Chapuis et Francis Chapelet.

Doué d’une mémoire impressionnante, René Saorgin nous fait pénétrer dans le contexte familial italianisant de ses grands-parents, milieu modeste et laborieux où l’enfant grandit en solitaire, marqué par sa messe de première communion et l’idée que la musique sera son univers. C’est tout un ensemble riche de menus détails fort instructifs sur un jeune homme timide qui se cherche et recherche des appuis.
Et c’est ce qui se passera effectivement puisqu’il s’initie au solfège et au piano avec Albert Frommer, personnalité provinciale brillante mais difficile, lequel « [le met] enfin sur un banc d’orgue ».

1947 : premier séjour parisien : leçons particulières chez Maurice Duruflé (sans grand succès) et retour à Cannes. 1948 : service militaire en « service auxiliaire », et donc au profit de la musique ; mariage en 1954, naissance d’une fille, décès d’un père puis hommage à une mère et à « sa volonté dans un travail […] effectué en grande partie pour assurer une vie facile à son fils ».

Rebuté par le dogmatisme de Marcel Dupré au Conservatoire de Paris mais toujours conseillé par Albert Frommer, René Saorgin travaille l’improvisation auprès d’Emile Bourdon pendant deux ans et, après un bref retour dans le Midi, séjourne de nouveau à Paris environ quatre ans, admis dans la classe d’harmonie, où il obtiendra le Premier Prix. Évoquant avec gentillesse mais sans concession ses sympathies et ses réticences, il offre au lecteur de quoi deviner les tiraillements entre professionnels de l’orgue, même au plus haut niveau.

Il fait ensuite la connaissance d’éminents professeurs italiens, dont l’organiste Fernando Germani, musicien décisif dans sa formation et la narration détaille comment il devient, à Nice, professeur d’orgue au Conservatoire municipal et titulaire de l’orgue de l’église Saint-Jean-Baptiste (1954-1984). Le concours Jean-Sébastien Bach de Gand (1958) devient alors, grâce à l’obtention d’un Premier Prix à la faveur de la « profonde musicalité » de l’interprète, un moment essentiel ouvrant la voie d’une carrière internationale. Dans les années 1960, à la console de l’orgue historique Isnard de Saint-Maximin en Provence, René Saorgin débute une discographie marquante, laquelle s’étendra à de multiples instruments baroques européens.

Nommé membre de la Commission des Monuments historiques, René Saorgin plaide alors pour la conservation et la renaissance des instruments anciens, en particulier ceux de la vallée de la Roya (le Serassi de Tende, le Lingiardi de Saorge, etc.). L’Académie de Haarlem, dans les années 1972, devient une occasion unique de diffuser les codes retrouvés de l’interprétation ancienne et, sur ces bases, René Saorgin s’engage dans des tournées aux Etats-Unis qui le conduisent, rétrospectivement, à analyser les diverses composantes de ce type de pratique.
Vient aussi cet immense travail visant à « créer une vie organistique active » autour des Amis de l’Orgue.

L’auteur aborde finalement le cas de l’orgue de l’église Saint-Paul et « son » Conservatoire, avec, à sa direction en 1962, son illustre collègue, l’organiste de N-D de Paris, génial improvisateur, Pierre Cochereau, qui contribue à remonter le niveau des études et la renommée de l’établissement. En dépit de ces éléments très favorables, notre organiste se demande s’il a véritablement été passionné par l’orgue et s’il a été un « bon professeur », convaincu cependant de la pertinence et de l’intégrité de son engagement artistique, musical et pédagogique.

Après le décès du chanoine Henri Carol, en 1984, René Saorgin est pressenti pour lui succéder à la cathédrale de Monaco, autre sujet de grincement de dents de la part de divers collègues. Il accepte et obtient le relevage et le rajeunissement de l’instrument, où son sérieux comme organiste titulaire aurait dû lui offrir de véritables « satisfactions musicales », surtout dans une Principauté richissime, mais, hélas, peu avenante et peu ouverte aux choses de l’esprit. Toujours ami des compositeurs symphonistes malgré sa passion pour les baroques, René Saorgin quitte ses fonctions en 2005, désabusé. Il évoque cependant un « hommage officiel » rendu en janvier 2006, avec, heureusement, la participation de « plusieurs de [ses] anciens élèves ».

On l’aura compris, René Saorgin, musicien discret et raffiné, interprète érudit, personnalité d’autant plus attachante qu’elle mentionne ses succès sans oublier ses échecs, a rédigé des Mémoires d’une extrême richesse. Son texte est à l’image de ce que fut l’homme : sensible, intelligent et probe.