Etonnants journaux intimes

vendredi 16 août 2013, par Bernard Massip

Revue Books, année 2013

Les amateurs de journaux personnels ne devraient pas manquer de se procurer le numéro d’été de la revue Books qui présente un remarquable dossier sur le thème « Étonnants journaux intimes » et qui donne l’occasion de belles découvertes.

L’orientation très internationale de cette revue (« livres et idées du monde entier » comme l’indique son sous-titre) explique qu’y soit présenté des documents provenant de toutes les périodes et de toutes les aires culturelles, souvent inconnus ou peu connus en France. La revue a choisi, dans un esprit très apaïste, de se centrer, à quelques exceptions près, sur des textes d’anonymes, plutôt que sur des journaux d’écrivains ou de personnalités.

Entre autres trésors on y découvre par exemple l’immense journal codé d’Anne Lister, une lesbienne de la gentry anglaise du début du 19°, parmi les premières à évoquer son orientation sexuelle, le journal d’un aristocrate allemand cosmopolite et féru de Grèce antique à la fin du 19eme, le journal monstre d’Arthur Iman, un bourgeois bostonien qui a vécu 45 ans malade et cloitré dans son appartement. Les confrontations des individus aux situations dramatiques de l’histoire ne sont pas absentes : ainsi découvrira-t-on le journal d’une jeune japonaise anarchiste, condamnée à mort pour complot contre l’empereur en 1911, le journal d’une jeune fille soviétique au cœur de la période stalinienne, les notes très personnelles d’un bureaucrate chinois pendant la révolution culturelle, le journal d’une adolescente tchétchène dans Grozny sous les bombes. Les drames liés à la barbarie nazie sont bien sûr aussi présents : qu’ils proviennent de victimes (carnets, retrouvés en 2003 seulement, d’un jeune juif pragois mort à Auschwitz à 16 ans) de survivants (Otto Klemperer ou le journal d’une sécrétaire d’ambassade tchèque tenu entre 1925 et 1954) ou de bourreaux (stupéfiant journal de Joseph Goebbels).

Beaucoup de ces documents sont présentés par les analyses qu’en ont donné dans les années récentes des journaux et suppléments littéraires des pays d’origine des textes. Mais le dossier comporte aussi beaucoup d’extraits des textes eux-mêmes ; Ainsi retrouvera-t-on les carnets d’Amélie Fabri, déjà présentés à l’APA par Philippe Lejeune, le journal tenu par un prisonnier de guerre allemand en URSS exhumé par nos amis du Deutsche Tagebuch Archiv, mais aussi, entre autres, dans les années 1950, bien avant internet et les amours virtuelles, la correspondance amoureuse entre un espagnol et une jeune fille allemande avant qu’ils ne fassent connaissance, ou encore le journal, analysant lucidement sa maladie, d’un jeune schizophrène espagnol.

Le numéro est introduit par un entretien avec Philippe Lejeune et conclu par une interview de Paula Sibilia, anthropologue argentine évoquant les effets sur le discours sur soi de l’émergence d’internet.

Cette publication a également donné lieu à une émission sur France-Culture (entretien entre Olivier Postel-Vinay et Philippe Lejeune), que l’on peut écouter en podcast pendant un certain temps : voir le lien sur le blog des apaïstes.