Revue Diasporas n°22 : Écrire sa vie

samedi 19 juillet 2014, par Véronique Leroux-Hugon

Presses universitaires du Mirail, 2013

Belle livraison que ce numéro sur la mémoire de l’exil publié par l’équipe de Diasporas. Les textes sont répartis sous quatre rubriques : Mémoires d’écrivains, Itinéraires singuliers, Parcours/Témoignages pluriels et enfin Collecter les récits de vie.

Dans l’introduction, Isabelle Lacoue-Labarthe et Sylvie Mouysset analysent modalités et bénéfices de l’écriture de soi en exil : une écriture pour soi mais aussi toujours pour les siens comme pour autrui. « Une écriture qui expose la souffrance du départ en forme de déchirure, de rupture, d’abandon mais ouvre aussi la voie à la reconstruction de soi […] Du souci de réalisme à la réinvention fantasmée de son destin, tous les chemins sont possibles pour parvenir à la restitution pleine et entière du chemin parcouru ».

Suit un entretien avec Elias Sanbar qui oppose l’autobiographie (qu’il trouve inintéressante parce que reconstruite) au travail de la mémoire par restitution d’échos discontinus, écrits à partir de résonances qui engendrent l’émotion. L’exil peut être enfermement dans une sorte d’absorption de soi. Sanbar lui oppose l’exil choisi, le sien, celui d’un Palestinien, porteur d’un pays, de ses disparus, et de cette langue qui l’éblouit, dont l’enchantent les poèmes, notamment ceux de Mahmoud Darwitch qu’il a traduits. Il se dit amoureux de sa langue maternelle, de ses accents et de leur variété phonétique.

Après deux articles sur l’expérience des émigrés russes dans l’entre-deux guerres, et la mémoire d’un exilé roumain, c’est Clara Lévy qui parle des juifs contemporains de langue française après 1945 sous le titre "Écrire sa vie de Juif errant". À partir de 300 ouvrages, elle recherche comment ces écrivains, mus par l’impératif du souvenir, s’attachent à recréer le territoire qu’ils ont perdu, notamment par la peinture minutieuse et attendrie d’une communauté disparue, celle du shtetl. L’auteure parcourt ces récits autobiographiques ou de fiction « comme des instruments de recomposition d’une vie en éclats » où il faut écrire sa vie « pour nous » et « sans eux », en évoquant une terre natale idéalisée, où le passé est omniprésent.

Abdelhakim Rezgui décrit, quant à lui, trois journaux personnels de l’exil dans la France des années troubles, auxquels il a pu avoir accès grâce aux archives de l’IHTP et de l’APA, notamment pour l’étonnant journal de Monique d’Hesse Mon journal d’évacuation (APA 1081), témoignage rare d’un enfant pendant l’exode. De ces rares vestiges de carnets intimes, il conclut que c’est l’exil qui déclenche la prise d’écriture car les conditions carcérales, d’isolement et d’éloignement favorisent une pratique dont les fonctions sont d’épancher la douleur, de pallier l’absence. Il conclut à la nécessaire divulgation, comme l’APA peut le faire, de ce type d’écrits pour permettre l’émergence dans la sphère publique du passé individuel et collectif.

Sautons quelques pages pour faire un autre « voyage en APA » avec Delphine Leroy. À partir de textes déposés, l’ethnologue montre l’interaction du chercheur et du locuteur comme lieu même de la production des récits de vie. Elle s’interroge, après d’autres, sur la vérité biographique, l’importance des marques socio-culturelles et du contexte d’élaboration du récit, les rapports entre récits personnels et récits collectifs.

Citons encore le récit de Luise Straus-Ernst (femme de Max Ernst), artiste allemande réfugiée en France, qui rédige ses Mémoires, pour donner un sens à sa propre vie dans une situation de survie, avant d’être déportée et de mourir à Auschwitz. L’auteure de l’article introduit la notion de genre dans cette histoire de l’exil, l’appartenance sexuelle ayant été longtemps négligée, de même que la part des femmes dans l’émigration.

Ce ne sont là que quelques exemples d’articles à découvrir, parmi beaucoup d’autres, dans ce recueil riche et diversifié.

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