Rithy Panh : L’image manquante

jeudi 10 octobre 2013, par Sylvette Dupuy

Bouleversant. Arte nous a donné à voir le documentaire de Rithy Panh, primé à Cannes, avant sa parution en salle. Le réalisateur a déjà consacré plusieurs films à l’histoire du Cambodge et surtout à la folie destructrice des Khmers rouges qui a duré pendant 4 ans (1975-1979). L’image manquante, bien sûr, c’est celle qui n’a pas été tournée, celle qu’on ne retrouvera jamais, qui ne permettra jamais d’attester de la violence subie. Les images, en effet, de la folie totalitaire qui a vidé les villes, organisé le pays en un immense camp de travail, décimé un cinquième de la population sont rarissimes ou trompeuses (jeunes au foulard rouge vantant des slogans au nom du monde meilleur à venir où régnera l’égalité parfaite).

Le réalisateur a voulu raconter un monde perdu, celui de son enfance colorée, pauvre certes mais joyeuse, pleine d’odeurs de nourritures, de chants, de solidarité. Et l’horreur brutale qui a suivi alors qu’il n’était qu’un enfant. Mais comment faire quand il ne reste plus personne de sa famille ? Il a donc imaginé (et avec quel brio ! quel talent !) des figurines en terre cuite à l’effigie de ses parents, de ses amis, de ceux qu’il a côtoyés dans les camps, les hôpitaux de campagne, tous figés dans des attitudes de douleur (famine, maladies, deuils, incompréhension) et vêtus de sinistres uniformes noirs. Un peuple d’ombres, pieds nus, creusant le rocher, déversant en longues colonnes des paniers remplis de pierres.

Ces marionnettes rappelleront à certains le choc subi en entrant à la Cartoucherie en 1985 pour voir la pièce L’histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk (qui vient précisément d’être reprise avec succès par de jeunes acteurs cambodgiens). On était accueilli par des marionnettes géantes représentant le peuple cambodgien silencieux serrés sur une immense galerie encadrant la scène. Saisissant.

A son peuple d’argile, l’auteur mêle quelques films d’archives. Les scènes reconstituées sont criantes de vérité, le spectateur oublie que les personnages sont en terre cuite et voit du vrai sang, de vraies larmes. On se reprend à penser, comme devant chaque horreur de l’histoire : mais comment cela a t-il été possible ? Et, bien sûr, comme dit le commentaire (bouleversant aussi) : "Comment résister quand on a faim, qu’on est exténué et qu’on n’a pour seule possession une cuillère ?"

Ne le manquez pas en salle ou procurez-vous le DVD !!