Robert Guyon : Souvenirs en archipel

mercredi 5 avril 2023, par Élizabeth Legros Chapuis

Robert Guyon, poète et voyageur

Disparu en mai 2022, le poète Robert Guyon avait été un grand voyageur, ce dont témoigne son récit Carnets de voyage au Chili (1967-1968) déposé à l’APA (APA 2926). Il a notamment vécu au Mexique, puis en Grèce, à Thessalonique – ce qui lui a inspiré le roman Salonique, mon amour (édité par la Société des écrivains, 2012) – avant de revenir s’installer en France, à Villeurbanne. Aujourd’hui paraît un recueil posthume de souvenirs qu’il a écrits de 2008 à 2011 ; une vingtaine de textes courts, portant fréquemment sur des souvenirs d’enfance, mais aussi sur ses pérégrinations.

Dans le premier d’entre eux, intitulé Hologramme, il s’explique sur la méthode qu’il a suivie pour les composer. À partir d’un souvenir remontant spontanément à la mémoire, il tire sur le fil et laisse venir d’autres images, d’autres traces. « À la manière des surréalistes, écrit-il, j’ai donc laissé venir à moi librement ces mots-images et je les ai notés dans l’ordre où ils me sont venus à l’esprit. » Il en résulte des textes dont la fraîcheur et la spontanéité s’allient à la mélancolie, la tendresse et l’autodérision qui caractérisent l’écriture de Robert Guyon.

Souvenirs marqués de nostalgie et du sillage des rêves évanouis. L’évocation des fêtes de Noël, moment si important dans l’enfance, suscite celle du premier Noël passé sans famille, au Venezuela, au cours du périple en Amérique du Sud décrit dans le récit précité ; plus tard, une autre nuit de la Nativité, « misérable avec le Johnny Walker pour seul compagnon » ; enfin, le souvenir de son amie d’enfance Thérèse, dont il apprend le suicide en 1987 alors qu’il se trouve à Cerisy-la-Salle pour intervenir sur l’un de ses écrivains favoris, Blaise Cendrars.

Il rapporte des souvenirs de vêtements, depuis les barboteuses de la petite enfance (marque générationnelle, assurément) jusqu’à l’humiliation de faire sa première communion en culottes courtes et à l’adolescence, ce « long calvaire vestimentaire ». La machine à coudre maternelle, les moments de tendresse passés avec sa mère. Le casque colonial reçu en cadeau dans sa jeunesse, objet qui a plutôt été la source d’un rêve d’explorateur, et d’ailleurs, dit-il, « toute ma vie j’aurai été à la poursuite obscure d’un idéal d’héroïsme ou de sainteté ».

Il raconte les bateaux, cargos, paquebots, mais aussi les voitures qu’il a conduites (« je connais chacune par son nom ») et dont on le découvre passionné : « Je ne roule presque plus mais ça me fait encore rêver ». Le fil des parcours en auto le fait remonter vers le dernier voyage fait avec son père en 1975, la connivence avec deux chauffeurs, un vieux et un jeune, rencontrés dans un restaurant de routiers, et le père ravi qu’on ait pu le prendre pour un camionneur…

Il repense aussi aux amours de jeunesse, à La Couronne, aux Saintes-Maries de la Mer, « période bénie, d’un bonheur de paradis terrestre, d’avant la Faute et les Lois ». Puis, après une vie sentimentale quelque peu chaotique, le bonheur retrouvé quand Marta (« rencontre nouvelle, inespérée »), connue au Mexique, vient le rejoindre à Salonique, et la naissance de leur fille Chloé. De nombreuses notations et allusions au Mexique, pays qu’il a beaucoup aimé, parsèment d’ailleurs ses écrits. Le tout dernier texte, Les Petites Fleurs, rappelle la maison de famille à Aix-en-Provence et évoque la difficulté du poète à trouver sa place dans le monde : « Il m’a donc fallu fuir sur l’océan vers d’autres rivages, vers un nouveau monde où me trouver, peut-être. »

Robert Guyon, Souvenirs en archipel – Éclats de mémoire, L’Harmattan, février 2023, 184 p.
Lire aussi l’article paru dans la FAR 89, février 2022, p. 56, sur le livre de Boris Gobille, Enfermement et vocation littéraire, qui examine notamment le parcours de Robert Guyon.