Roland Barthes : Autoportrait

samedi 14 avril 2018, par Madeleine Rebaudières

Une archive Ina-Radio France de 1976

C’est un extrait d’une « après-midi de France culture » dont l’invité est Roland Barthes, le 8 mars 1976. L’invité doit auparavant se prêter à l’exercice d’autoportrait dans un studio, seul dans le noir, enregistré quelques jours avant l’émission proprement dite. Ce qui frappe, c’est la voix de Barthes, une belle voix, et un rythme inhabituel sur les ondes, un rythme lent qui prend son temps (on entend son briquet de temps en temps).

Ce qu’il dit de l’autoportrait est très intéressant : il évoque un « je » de l’imaginaire d’autrefois et l’ « hypocrisie » de l’autoportrait qui suppose de se retirer de soi-même. Il parle de sa position par rapport au temps : l’avenir dont il se fait une idée euphorique, le présent mêlé de soucis et d’angoisse, le passé limité à des flashes qui le traversent. Il se dit incapable de tenir un discours sur son passé et d’écrire des mémoires, seulement quelques fragments, ce qu’il a appelé des « anamnèses ». Il évoque son enfance d’orphelin de père, son milieu bourgeois très pauvre, « la cellule désocialisée », où il est seul de son âge, dans un « entour affectif » limité à sa mère, sa grand-mère et une tante. Son intériorité et les lectures très nombreuses qu’il a pu faire quand il séjournait dans la maison de ses grands-parents paternels à Bayonne. Il ne sait pas qui il est, mais il parle d’une « angoisse de délicatesse », de sa peur de la blessure, et de son « désir du comblement ». Un certain rapport à la politesse qui est une manière de se protéger sans blesser l’autre. Possibilité de ne pas dire, de tricher avec les mots, de s’installer dans l’indirect…

Le travail de l’intellectuel, "nauséeux" quand il est obligatoire, devient "jouissif " quand on accède à une création, en particulier dans le domaine de l’écriture. Il faut pour cela une sorte de "consécration sociale" : un premier texte qui a été bien reçu. Il évoque l’organisation de son travail, ce qu’il appelle « la papeterie ».

La musique et le chant occupent une grande place depuis sa première attaque de tuberculose. Les cours de chant pris pendant deux ans, avec un jeune ami, auprès du grand Charles Panzérat, jusqu’à son départ à nouveau pour le sanatorium. On écoute à sa demande, intégralement et sans commentaires, « La vie antérieure » (de Baudelaire, mise en musique par Henri Duparc) chantée par Panzérat, une pépite de la radio. Barthes évoque pour finir les deux pères de substitution qu’ont été pour lui deux artistes, deux créateurs : Charles Panzérat et Bertolt Brecht. La voix de Panzérat qu’il entend toujours, son travail sur le texte et la textualité l’auront inspiré toute sa vie.

Trente-six minutes fascinantes, offertes aux insomniaques dans « Les nuits de France culture », que l’on peut écouter en « podcast ».