Romain Goupil : Les Jours venus

vendredi 6 février 2015, par Bernard Massip

Le temps passe. On vieillit. Se succèdent alors « les jours venus », celui où l’on se met à débuter ses phrases par « avant », celui où le fiston amène pour la première fois une jeune fille dormir à la maison, celui où l’on commence à réunir ses papiers pour la retraite, celui où, dans le métro, on vous cède une place assise, tandis que se profile aussi, cet autre jour venu, irrémédiable celui-ci, celui de l’effacement sans recours, celui de la mort.

C’est au travers d’une comédie délicieusement fantasque que Romain Goupil, soixante-huitard revendiqué et jeune soixantenaire, se met en scène, face à ses propres jours venus. Il joue son propre rôle comme il fait jouer les leurs à sa femme, à ses enfants, à ses vieux parents, ce qui charge le film, au-delà de ses scènes fictionnelles, d’une part autobiographique évidente. Il revisite son passé, les engagements de sa vie, laisse transparaitre, au travers de la matière même de son film, à la fois sa fidélité fondamentale aux valeurs de sa jeunesse comme les accommodements que les années ont imposés. Goupil est quasiment de tous les plans, soit qu’on le voie, soit qu’on l’entende commenter en voix off les images qui défilent. Ce qui pourrait paraitre narcissique est sauvé par la drôlerie de l’ensemble et par une constante autodérision.

Forts de ses habiletés verbales, (il n’a rien perdu de ce point de vue de ses apprentissages trotskystes) le voici toujours discourant et discutaillant avec sa banquière amoureuse comme avec ses enfants, avec la société de Pompes funèbres auprès de laquelle il veut souscrire un contrat comme avec les membres de l’association de locataires de sa résidence. Le voici, débitant à sa productrice, qui l’écoute avec bienveillance mais non sans une distance un peu narquoise, des idées de scénarios pour son prochain film, plus improbables les unes que les autres. Le voici jetant aux jeunes femmes qu’il croise, des regards ou des paroles séductrices mais chargés manifestement, de plus en plus, de simples fantasmes plutôt que d’espérances d’accomplissements concrets.

Au-delà de ces scènes construites, Goupil injecte aussi dans son film des documents personnels anciens, bouts de films tournés en reportage à Sarajevo au début des années 1990, là où il a rencontré celle qui deviendra sa femme, puis films de famille avec celle-ci et leurs enfants à différents âges, films de vacances en Bretagne ou en Bosnie ou il revient régulièrement. Le voici aussi, dans une scène, cette fois contemporaine, discutant avec son propre père des atteintes du grand âge et de ce qu’il conviendrait de faire, le jour venu. La récitation par le père, d’une voix sobre, sans volonté de faire des effets, de la fable La mort et le bûcheron alors que tous deux sont occupés à débarder du bois, se charge d’une grande intensité émotionnelle. Et tout le reste alors prend plus d’épaisseur. Ce qui n’était que succession de scénettes amusantes se charge alors d’une gravité qui leur donne leur véritable sens.

La scène finale est jubilatoire. Un enterrement défile dont on comprend que c’est celui de Goupil lui-même. Mais le voici qui apparait dans la nacelle depuis laquelle s’effectue le tournage et qui, en réalisateur autoritaire houspille ses acteurs, fait reprendre et reprendre encore la scène. Dans le cortège sont là bien sûr les acteurs et personnages du film, les acteurs professionnels comme les membres de la famille mais aussi des amis du monde du cinéma ou des anciens des mondes militants. Face aux injonctions exaspérées du réalisateur, voici soudain un Daniel Cohn-Bendit hilare qui lance : « trotskyste un jour, tyran toujours ». Derrière les visages éplorés, on sent combien tous s’amusent. Cette complicité entre les protagonistes, ce plaisir manifeste qu’ils ont à être et à faire ensemble, sous l’impulsion du cinéaste, se ressentent avec force. Et ne sont pas pour rien dans le charme que dégage le film et dans le plaisir qu’en ressent le spectateur lui-même.