Santiago H. Amigorena : Le ghetto intérieur

lundi 16 mai 2022, par Martine Lévy

Folio, 2019

Ce roman est la biographie de Vicente Rosenberg, juif polonais, en huit chapitres et un épilogue autobiographique. Vicente mène une vie d’abord heureuse de marchand de meubles ayant émigré en Argentine, de jeune époux et père, puis une vie marquée par la culpabilité d’avoir laissé sa mère à Varsovie. La culpabilité de s’en être sorti puis de n’avoir pas pu – ou voulu – faire venir sa mère en Argentine finit par avoir raison de Vincente. Tout est vain, vient le silence.

Ce silence est celui dans lequel s’est muré son grand-père, Vicente Rosenberg, juif polonais émigré en Argentine, mais aussi celui de son petit-fils, l’auteur du roman. Né à Buenos Aires en 1962, Santiago H. Amigorena est un réalisateur, scénariste, producteur et écrivain argentin : son histoire et son œuvre sont marqués par le mutisme et l’exil, l’un répondant à l’autre.

Vicente reçoit épisodiquement des lettres de sa mère, au fil des événements qui agitent la Pologne durant la Seconde Guerre mondiale. Elle est maintenant enfermée dans le ghetto de Varsovie, affamée. « Dis-moi… » demande Rosita à son mari. « Il aurait aimé lui répondre n’importe quoi, juste pour lui montrer qu’il l’entendait, qu’elle existait – mais il n’y était pas arrivé. Il avait déjà éprouvé ce sentiment après avoir reçu la lettre précédente de sa mère, mais ce n’était qu’après avoir reçu celle-ci qu’il a senti que non seulement il ne voulait plus parler mais qu’il ne pouvait plus le faire. Il voulait parler, mais prisonnier du ghetto de son silence, il ne pouvait pas parler. Il ne savait plus. »

« Mais dès qu’il avait lu la dernière lettre de sa mère (…), du jour au lendemain, il avait de nouveau cessé d’écouter la radio, de lire le journal, de suivre les conversations au café. Il avait décidé qu’il ne parlerait plus jamais de tout ça - de tout ça, ni du reste. Et dans cette fuite immobile, dans cette quête incessante de l’ignorance, dans ce choix funeste d’une mort lente et méticuleuse, une seule chose allait lui permettre de survivre : le jeu. »

Le ghetto intérieur, c’est cela, la métaphore du mur du silence familial, en écho au mur du ghetto de Varsovie dans lequel la mère de Vicente Rosenberg est enfermée. Le seul moyen d’en sortir, pour l’auteur, le petit-fils de Vicente, est la littérature : il opte pour la fiction et à la toute fin du livre, pour l’autobiographie. Et en décidant d’écrire un roman, il offre un grand livre sur l’exil, l’identité et la mémoire, la culpabilité, mais aussi sur la puissance de la parole et de la littérature.