Sarah Polley : Stories We Tell

mardi 2 avril 2013, par Bernard Massip

Sarah Polley est une jeune actrice et cinéaste canadienne née en 1979. Ses parents, Michael et Diane Polley étaient également acteurs. Ils se sont rencontrés alors que Diane était déjà divorcée et mère de deux enfants. Du nouveau couple sont issus deux autres enfants puis Sarah, la petite dernière. Très amoureux dans un premier temps mais ayant des besoins sociaux et une personnalité fort dissemblables, réservée voire renfermée pour lui, très exubérante pour elle, les deux époux ont connu des moments de distance sans pour autant que la cellule familiale ait jamais été remise en cause. Physiquement Sarah n’a rien de son père au point que ce fut une récurrente blague familiale de s’interroger sur qui pourrait être son véritable géniteur. Diane a été atteinte d’un cancer et est décédée alors que la petite Sarah avait onze ans. On comprend donc que celle-ci ait eu envie de se pencher sur son histoire familiale, tant pour essayer de retrouver qui fut sa mère que pour en avoir le cœur net au sujet de sa propre filiation.

Elle le fait aujourd’hui avec ce film, son troisième long métrage, un documentaire achevé en 2012 mais sur lequel elle a travaillé pendant cinq ans, non sans difficultés et douleurs qui ont failli plusieurs fois la faire renoncer à son projet.

Le film raconte donc sa recherche de qui était son véritable père. A partir de ses doutes d’origine, d’une enquête sur les évènements familiaux dans la période de sa conception (Diane était partie à Montréal pour y jouer Les séquestrés d’Altona, tandis que Michael restait à Toronto, mais non sans effectuer quelques visites auprès de sa femme), d’interviews aujourd’hui de divers protagonistes ou témoins, membres de la famille ou amis, elle révèle peu à peu par un récit habile qui sait ménager suspense et rebondissements parfois spectaculaires une vérité finalement définitivement attestée par des prélèvements ADN.

Mais au-delà de cette vérité factuelle essentielle et libératrice pour elle, ce sont aussi des perceptions et ressentis individuels plus subtils et plus divers qu’elle recherche, le vécu de chacun, la façon dont il en rend compte – c’est ce « stories » décliné au pluriel – tout ce qui constitue la légende familiale et qui est en soi une vérité supérieure à chacun des récits individuels. Pour cela elle pousse Michael à écrire un récit autobiographique qu’elle lui fait lire devant la caméra et peut se montrer une interwieveuse acharnée pour pousser dans leurs retranchements certains des protagonistes afin de les faire accoucher de leur part de vérité. Ce questionnement se fait cependant toujours avec une approche empathique de chacun des protagonistes/personnages, la fratrie, les amis mais surtout chacun des deux « pères », le biologique et le social. La mère, quant à elle, reste bien sûr l’absente, évidemment mystérieuse à jamais pour son enfant mais celle-ci parvint néanmoins, à travers la mosaïque des témoignages qu’elle recueille, à l’esquisse d’un portrait, celui d’une femme qui derrière son exubérance et son apparente joie de vivre cachait certainement des douleurs profondes.

Le film ne se prive pas, et de surcroît sans le dire, d’utiliser des reconstitutions. Ainsi les nombreuses séquences en super huit qui évoquent les protagonistes dans leur jeunesse et que l’on dirait sorties d’archives familiales sont pour la plupart réalisées aujourd’hui et interprétées par des acteurs. Rien ne dit non plus que le dévoilement progressif de la vérité pour Sarah ait suivi les étapes de l’enquête qui nous sont ici montrées. Voilà certes qui peut gêner le spectateur, adepte strict du pacte autobiographique, mais qui en même temps introduit un salutaire questionnement sur la frontière floue entre vérité et fiction sans remettre en cause l’authenticité et la vérité profonde de ce que la cinéaste parvient à faire accoucher.

La vie et les familles sont ainsi faites. A chacun de s’y insérer et de s’y construire comme il peut dans l’acceptation et la tolérance. C’est sans doute ce qui donne une portée universelle à l’approche qu’offre Sarah Polley de son histoire familiale singulière.