Silvia Rossi : Ecrire le cancer

De l’expérience de la maladie à l’autopathographie.

vendredi 8 mai 2020, par Véronique Leroux-Hugon

Téraèdre, 2019, 208 p. ; Préface de Roberto Poma

Bénéfice secondaire du confinement : j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres le livre de Silvia Rossi, gentiment déposé par cette voisine … Silvia Rossi était intervenue lors d’une table ronde de l’APA présentant notre Cahier de relecture n°61 : Écrire la maladie en 2016. Son livre publié dans la collection (Auto)biographie & Education dirigée par Christine Delory-Momberger reprend et approfondit le propos.

Le projet de sa thèse, soutenue en 2016, est le suivant : à partir de six textes d’écrivains italiens, analyser le rôle du cancer comme déclencheur d’écriture, matière de la narration. Aussi, elle décrypte systématiquement dans ces ouvrages le recours aux métaphores pour narrer cette expérience vitale, dans une perspective très actuelle de redonner la parole aux patients. De fait, ce sont plutôt les malades (du sida, du cancer ici) qui prennent la parole depuis quelques décennies et font du récit de leur expérience un outil, pour ne pas dire une arme.

Parmi les six auteurs, quatre hommes et deux femmes, retenus dans le corpus, seul le livre de Tiziano Terzani a été traduit en 2015 sous le titre Un autre tour de manège, aux Editions Intervalle. Silvia Rossi, elle-même italienne, donne systématiquement le texte orignal des nombreuses citations extraites de son corpus, présenté et étudié dans une première partie. Elle y analyse le lien entre maladie et narration, ou comment le corps malade conditionne et influence la structure des récits.

Dans un chapitre intitulé L’écriture de la maladie, un genre à part ? elle démontre une première fonction de résistance de l’écriture face à la menace de mort, puis une seconde fonction ; celle où l’écriture est porteuse de la volonté de l’écrivain de se réapproprier son propre corps face à sa colonisation par la maladie, par le soignant. Elle pose enfin l’ultime question sur l’irruption du cancer dans la vie : pourquoi moi ?

Présentant la maladie comme condition d’un discours renoué avec le corps, elle souligne le passage du monde des bien-portants au monde des malades : un passage de frontière qui entraîne l’exclusion du « mal-portant », la perte d’identité, la perte de contrôle du corps devenu objet, la perte du nom (au profit d’un numéro), la relation déséquilibrée entre patient et soignant, ce dernier considérant la maladie plus que le malade.

Le rapport au temps est également modifié, quand on passe du temps du travail au temps « libre » (si j’ose dire) mais occupé maintenant par les thérapies, sous la menace d’un futur hypothéqué, où il faudra envisager une reconstruction, voire la création d’une identité nouvelle.

Rapidement, et nous l’avons constaté souvent dans les textes déposés, l’envie vient de mettre à profit cette expérience : alors le corps blessé, soigné, colonisé …devient un corps « parlant » qui demande à être mis en récit.

En 1978, Susan Sonntag titrait son livre La maladie comme métaphore. Ici Silvia Rossi analyse de manière exhaustive ce recours à la métaphore guerrière, très commune mais aussi à d’autres images. On a souvent rencontré, depuis Mars de Fritz Zorn (1977) la métaphore militaire, les images du général-médecin et du soldat-patient, le recours à un « arsenal » thérapeutique, l’avancée (quelquefois le recul) des lignes de front. Dans un univers très hiérarchisé, s’imposent des médecins mécaniciens qui réparent, fragmentent et segmentent les parties d’un corps humain au détriment de la personne malade.

Anges gardiens, les médecins évoluent dans un monde au lexique religieux où la fin des soins prend la dimension d’une résurrection. Le langage militaire se complète en effet du recours à d’autres langages : ceux de la religion donc, du sport et du voyage.

Reprenons la conclusion de cette recherche prometteuse : « Les malades s’approprient le langage des médecins et des politiques en l’adoptant ou en s’en défendant et introduisent ainsi des éléments différents qui contribuent à changer la représentation du cancer et du statut des malades pendant et après la maladie. »