Sorj Chalendon : La légende de nos pères

mercredi 21 octobre 2015, par Alice Bséréni

Grasset 2009, Le livre de poche 2011

Avant Le quatrième mur (2013) (grand prix des lycéens) qui plonge dans la mythologie comme dans les drames de l’histoire contemporaine et qui s’en inspire, le titre précédent, La légende de nos pères, revient sur les thèmes de prédilection de l’auteur, mémoire, histoire et vérité, mensonges et trahison. Il s’agit d’un roman écrit à la manière d’une autobiographie fictionnelle dont le narrateur traite du statut du biographe et de ses aléas. Le fil directeur est l’écriture d’une biographie de commande dont on va suivre par étapes les incertitudes, les zones d’ombres, les trous de la mémoire et les incohérences, et rencontrer des personnages aux prises avec leurs secrets, leurs silences, les non-dits. Le tout revisitant l’Histoire – « avec une hache », à la manière de Perec – vue par la lorgnette de la petite, celle de gens ordinaires qui se sont pris ou faits passer pour des héros. Là, celle d’un ancien résistant qui avait monté en fable ses prouesses pour endormir chaque soir pendant la guerre sa petite fille jusqu’à ce qu’elle sombre dans le sommeil. Quarante ans après, cette fille lui réclame une biographie consignant ses mémoires, « pour en garder une trace écrite ».

Par cet artifice sont traités d’autres thèmes chers à l’auteur, celui de la filiation, de la transmission, du legs, de l’héritage d’une génération à l’autre. Avec l’Histoire revisitée par le prisme de l’histoire et de l’anecdote, s’engage une autre quête, celle du père perdu et de la vérité qui, elle, peine à émerger. Un thème qui annonce peut-être le roman suivant, Profession du père, figurant parmi les titres phares de cette rentrée littéraire 2015.

La légende de nos pères est un roman fort, pudique, aux mots percutants comme des balles, aux métaphores saturées de sens, aux phrases courtes qui lacèrent l’intrigue comme la chair des personnages et leur intimité. Un phrasé anamnèse dont l’auteur a le secret, truffé de formules fulgurantes, un art d’aller à l’essentiel, une intrigue émouvante portent le lecteur dans les méandres de la psyché humaine, les dédales de l’histoire, ses heurts, ses pierres d’achoppements, ses énigmes et ses résolutions, ses drames et sa complexité.

Dans une tension qui jamais ne relâche et les ingrédients d’une intrigue de type policier, l’auteur mène une réflexion subtile sur le statut de la biographie comme genre littéraire, son enjeu historique comme sociologique, mêlant habilement les talents de l’écrivain, celui du reporter et ceux du biographe. Un roman à ne pas rater pour ceux qui s’intéressent au genre biographique comme aux mécanismes de l’écriture, ceux du roman et ce qu’il doit à la fiction et au réel dont elle se nourrit.