Sylvie Weil : Selfies

lundi 14 septembre 2015, par Sylvie Jouanny

Buchet-Chastel, 2015, 137 p.

Impossible d’ignorer le selfie, il fait rage. Après avoir relaté, dans son précédent ouvrage, la vie d’autrefois chez les Weil (André, son père, mathématicien, et Simone, sa tante, philosophe), Sylvie Weil se propose un défi de son temps, le selfie littéraire. Non que les histoires de famille y aient disparu (on y retrouve un milieu, des relations, et des habitudes de bonne famille, dont le selfie exacerbe encore les aspects flatteurs), mais, l’instantané prend le dessus sur la chronique et donne matière à quatorze brefs autoportraits. Car Sylvie Weil associe d’emblée selfie et autoportrait, et coule l’un dans la tradition de l’autre. Quelques lignes d’évocation d’un autoportrait pictural constituent le point de départ d’un portrait de soi, textuel mais conçu comme un selfie photographique, même s’il ne se réfère concrètement à l’appareil de photo que dans très peu de textes.

Du selfie photographique, Sylvie Weil reprend, dans son écriture, l’arbitraire du portrait : « Il me plaît de me peindre assise dans le fauteuil Louis XVI d’un salon bourgeois ». Pourquoi tel choix, pourra-t-on se demander, et non tel autre, évoqué seulement au conditionnel passé : « Plutôt que me peindre de nuit, j’aurais pu aussi bien me peindre de jour. J’aurais pu, mais je ne l’ai pas fait, peindre encore un stabat mater » ? D’ailleurs, toutes ses photos ne sont-elles pas des selfies, finit-elle par se demander, dans les rues de Tel-Aviv, où elle se sent aussi chez elle : « l’Histoire aurait très bien pu me faire naître ici ». L’auteur recompose aussi l’espèce de soliloque que constituent des selfies photographiques : à peine adresse-t-elle « un petit sourire absent » à l’éventuel spectateur (lecteur ?). Le dernier autoportrait, intitulé « selfie photobomb » rompt avec l’arbitraire et la virtualité de l’ensemble en évoquant ce type de selfie dans lequel une personne ou un événement imprévisibles s’immisce dans la photo. L’auteur envisage sous cet angle une histoire personnelle, qui dut être majeure pour elle : un homme inconnu lui annonce au téléphone qu’il est son demi-frère ; et dans un raccourci savoureux, les dernières lignes de l’ouvrage racontent le test ADN de la salive qui confirmera le lien de parenté. Cette fois, le selfie littéraire évoquera précisément la photographie : de « manipulations » sur Photoshop (le cliché ainsi obtenu n’est toutefois pas joint), l’auteur fera apparaître trois enfants avec leur papa ! La rencontre n’aura jamais eu lieu, mais le selfie aura été réalisé ! Démenti amusant pour celle qui affirmait, au cours de l’ouvrage, que « tout le monde fait des selfies, c’est un moyen de passer inaperçu » !