Tracy Chevalier : À l’orée du verger

samedi 16 juillet 2016, par Alice Bséréni

La table ronde, 2016

Le dernier titre de Tracy Chevalier, écrivaine anglaise qui nous a légué le magnifique La jeune fille à la perle, monté depuis à l’écran, réitère la prouesse de plonger dans l’histoire et la biographie, cette fois dans l’Amérique contemporaine et sa construction.

Dès 1838 dans l’Ohio, puis quarante après, elle plonge ses personnages dans les affres de la conquête de l’Ouest, celle de l’or, celle d’une terre ingrate, mais aussi celle du culte végétal. Elle suit l’histoire d’une famille pionnière qui a dû s’exiler pour chercher meilleur sort ailleurs, et a tenté de réimplanter les merveilleuses pommes reinettes dorées du pays natal. Pommes à cidre et pommes sucrées vont désormais départager un couple et leur famille lourdement éprouvés par les conditions de vie inhumaines en région marécageuse, des moyens rudimentaires de culture, la longue liste des intempéries, maladies, infections qui vont disséminer une ribambelle d’enfants que nulle contraception n’empêche d’arriver, de grandir comme ils peuvent et surtout de mourir. Jusqu’au drame final où les parents s’entretuent plus ou moins accidentellement au cours d’un accès de folie et de délire alcoolique. Un épisode qui signe la défaite d’une vie toute entière de labeur, de petits bonheurs et surtout de déconvenues.

C’est à l’épreuve des travaux de la terre et d’une histoire en train de s’écrire que Tracy Chevalier prête cette fois sa plume, à chaque ouvrage plus documentée encore, pour tenter de reconstituer un pan mythique de la construction d’un pays dont les drames et les audaces ne cessent de nous étonner. Le roman alterne narration et récit, entrelacés d’un mode épistolaire qui introduit le lecteur à l’intimité des personnages, leurs drames, leur quête d’ailleurs et de réparation. Une ode et un hommage à la nature aussi avec l’obstination d’un homme qui n’a de cesse de cultiver les arbres les plus rares, géants d’un autre temps, d’un autre monde, à la mesure de celui qu’ils honorent, de les transplanter, les exporter jusque vers la lointaine et vieille Europe où ils feront les délices de quelques parcs anglais. Un monde ravagé, des personnages mis à mal, éprouvés par les conditions extrêmes de leur existence, des drames inévitables, de l’intime au social, et la vie qui insiste néanmoins, avec la tendresse retrouvée, l’amour aussi, l’enfant à naître et l’univers végétal qui survivra peut-être à la folie humaine.