Valentine Cuny-Le Callet : Perpendiculaire au soleil

mercredi 22 février 2023, par Pierre Kobel

Delcourt, 2022

En 2016 Valentine Cuny-Le Callet a 19 ans et veut donner un sens concret à son opposition à la peine de mort. Grâce à une association, elle engage une correspondance avec Renaldo McGirth, condamné à mort et incarcéré depuis plus de 10 ans en Floride.

Après une première publication aux éditions Stock (en 2020) sous forme d’un récit, Le monde dans cinq mètres carrés , dans laquelle elle racontait leurs échanges, c’est sous la forme d’un album de bande dessinée de 430 pages qu’elle raconte l’amitié nouée avec cet homme reconnu coupable de meurtre au cours d’un braquage. Un album dont elle dit qu’il est le prolongement du récit. Dès l’abord Valentine Cuny-Le Callet se garde de prendre parti pour ou contre la culpabilité de son correspondant. Son projet est ailleurs : « L’aspect déclencheur a été pour moi, très jeune effectivement, la confrontation avec des images de la peine de mort. Des images tantôt journalistiques, tantôt artistiques. La toute première a été la photo de l’exécution de Ruth Snyder, qui est aussi la toute première photo d’exécution par chaise électrique. C’est une photo volée par un reporter du New York Daily News. Si je continue à penser que c’est encore un sujet majeur, malgré l’abolition de la peine de mort il y a 40 ans en France, c’est que la moitié de la population française – ou plus encore – est favorable à son rétablissement. Par ailleurs, d’un point de vue plus global, c’est un sujet qui permet de parler du cœur de ce qui fait les droits humains et le respect de la dignité humaine. »

Leurs échanges devenus vite amicaux du fait de l’âge proche et d’intérêts partagés pour la chose artistique les conduisent à s’adresser des dessins et elle explique que « si seul mon nom est présent sur la couverture, c’est pour des raisons légales. Mais je tenais à expliquer en introduction que Renaldo est co-auteur de ce livre. Il y a dans cette BD de nombreux textes et environ 25-30 dessins de lui. Ce ne sont que des raisons légales qui nous ont empêchés de faire figurer son nom sur la couverture. C’est aussi pour cela que l’image de couverture est un portrait très frontal de lui et qu’il y a ce bandeau qui a été ajouté intelligemment autour de l’ouvrage, avec une citation de lui et son nom. » Un séjour de plusieurs mois aux États-Unis a permis à la jeune femme de rencontrer Renaldo et de dépasser ainsi la simple relation épistolaire.

Au-delà du récit de ces échanges et de leur évolution, cet album présente un double intérêt. Il participe de la dénonciation d’un système carcéral qui n’est pas fait pour donner une nouvelle chance aux détenus, mais qui veut les briser et les déshumaniser par la multiplication des réglementations jusqu’à l’absurde. Dire le couloir de la mort comme le fait Valentine, c’est dire non à une forme de barbarie, ici dans un pays qui se réclame de la démocratie, mais également partout dans le monde. Et il y a urgence à cela.

L’autre intérêt du livre est la très grande qualité du récit graphique et la richesse des multiples techniques utilisées et entrecroisées. Elles vont du dessin au crayon à la gravure sur bois. Renaldo pour sa part utilise aussi le bic et la gouache. Des pages de vignettes alternent avec des dessins pleine page. Valentine s’implique en se montrant au fil de son travail, de ses réflexions et des difficultés rencontrées. Cet ensemble produit un récit éclairant et lumineux, un livre positif et combatif à l’encontre de ce que le sujet pourrait faire croire. Un livre majeur dans la BD contemporaine et dans la littérature en général.