Valérie Donzelli : La guerre est déclarée

samedi 7 janvier 2012, par Véronique Montémont

C’est l’histoire d’un jeune couple. D’un jeune couple, puis d’un petit enfant. L’enfant pleure trop. Le jeune couple s’affole. Ce n’est qu’une histoire d’allaitement, vite résolue par quelques sages conseils. Le jeune couple est fatigué, mais heureux, et Adam grandit, au milieu de ses parents, de ses grands-parents, qui ont de l’amour à revendre. Une série d’incidents, d’anomalies, d’alarmes vont néanmoins justifier un retour chez la pédiatre. C’est dans l’œil de cette dernière, quand elle fixe le visage anormalement inerte du petit garçon, qu’on voit l’univers commencer à basculer. À Marseille, où la mère et l’enfant se sont précipités pour une consultation en urgence, la nouvelle tombe : Adam a une tumeur au cerveau. La guerre est déclarée.

À partir de là, le film bascule dans une violence impressionnante. Non pas la violence de la maladie et de sa médecine, qui ne sera jamais montrée, sinon de manière allusive. Mais le bruit que font sept vies qui se brisent au même moment. Il y a un temps pour la douleur, et tous elle les terrasse ; il y a un temps pour la riposte aussi. Le combat se mènera donc à plusieurs, famille, fratrie, amis, unis autour d’un homme et d’une femme qui ne savent pas ce qui les attend, mais sont déterminés à l’affronter, à leur manière.

C’est dans ce « à leur manière » que réside toute la pertinence du film de Jérémie Elkaïm et Valérie Donzelli. Une bonne partie des scènes se déroule à contretemps : l’arrivée du petit malade à Paris, au sortir du diagnostic, est présentée comme une joyeuse fête de retrouvailles, sur fond de lumière d’ambulance, certains soirs, le jeune couple danse, fume, chante avec des amis pendant qu’Adam est en chimio.

L’ensemble est rythmé par des musiques variées, pulsatiles, souvent allègres, comme un négatif de la bataille qui se joue au même moment. Ces contrastes, surprenants et convaincants tout à la fois, font l’authenticité du film : montrer qu’on peut être courageux et découragé, au faîte du malheur et d’autant plus avide de vivre, fort et écrasé par le sentiment d’injustice. Les portraits des soignants, particulièrement réussis – l’équipe de Necker est remerciée avec chaleur dans le générique – émeuvent par cette même justesse : des visages fermés au premier abord, des froideurs apparentes, mais en réalité un engagement total, une mobilisation lucide et sans faille au fur et à mesure que l’équipe qu’ils forment autour du petit patient se soude.

Parce qu’il est joué par le couple même qui fut le protagoniste de cet événement, le film acquiert une profondeur supplémentaire. Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm y évoluent entre l’interprétation et le documentaire. D’un sujet qui aurait pu basculer à tout moment dans le pathos ou le voyeurisme, ils ont tiré une œuvre où l’intelligence et la force de vie dominent, débarrassées de l’héroïsation stéréotypée, car bien trop âpre est le combat ; ce sens des nuances explique sans doute l’énorme succès que le film a rencontré en salle. La guerre est déclarée, au fond, relate surtout l’histoire d’une stratégie : celle que deux êtres qui s’aimaient construisirent contre la pire des injustices. Ils disent en être sortis « détruits, mais solides ». On les croit volontiers.