Véronique Pétetin : Renaître au monde. Journal d’une greffe

mardi 19 avril 2016, par Alice Bséréni

éditions Itinéraires, mars 2016

Véronique Pétetin livre dans cet ouvrage la biographie d’une greffe double et multiple, depuis ses hypothèques jusqu’à la renaissance qu’elle engendre. Une histoire poignante que l’on lit d’une seule traite tant la plume alerte et le style vigoureux tiennent en éveil le lecteur. On s’attache à l’histoire de cette jeune femme condamnée à terme par une insuffisance rénale, aggravée d’un diabète sévère et les contraintes qu’il inflige. On suit le combat acharné de la jeune femme dont la vie se voit suspendue au seul espoir qu’un donneur lui permettra de conserver la vie. Un combat mené dans la désespérance comme dans les rebondissements des promesses et des échéances différées, d’un état de santé dégradé chaque jour d’avantage, jusqu’à l’inévitable dialyse, le rythme infernal des séances imposées dans des conditions à peine imaginables, la lente détérioration de chaque fonction vitale. Le tout est écrit d’une plume acérée, pudique et emportée qui veut dire la colère autant que l’impuissance, mais aussi l’espérance et la pulsion de vie. Autant de scènes et de séquences qui prennent le lecteur aux tripes et au cœur, mêlées aux réflexions intenses, lucides, sans concession sur les rapports entre la mort et la vie, quand la mort devient passage obligé et condition d’accès ou du maintien en vie. Cette dialectique et ce souci éthique parcourent l’ensemble du texte et lestent le propos d’un poids de vérité et d’une gravité rarement atteints dans un récit de nature auto biographique. Nous sont révélés aussi la grande indigence du système hospitalier et l’état de misère de bien des services de soins, en personnels comme en équipements. Un témoignage à charge tempéré par le confort relatif d’autres établissements de dimension humaine, en province notamment, et l’éloge de la ténacité et de la compétence de nombres de médecins.

Le livre est écrit au présent, comme suspendu entre passé et futur, hier et lendemain, souffrance et espérance, résurrection et agonie, éveil et sommeil, comme si chaque instant de cette vie hypothéquée, unique, éphémère et sans prix, se voyait arrachée à un passé inapte à engendrer un devenir. C’est aussi le récit d’un combat sans concession aucune entre la mort et la vie, parcouru d’une réflexion poignante sur l’éthique du don et celle du receveur, celle des médiateurs aussi par qui transite l’opération et peut advenir ce miracle inouï. Un récit tendu à la manière de la corde d’un arc qui peut à tout moment se rompre comme elle peut lâcher sa flèche sur sa cible. Un combat ou le biologique se mêle inextricablement à l’instance psychique, au chemin nécessaire à faire sur soi, en soi, avec l’autre et les autres pour que cette gageure ait une chance d’aboutir. Aussi, l’accompagnement d’une « Ariane » dans le récit à qui est dévolue la tâche de tenir et tirer le fil rouge de ce long et lent cheminement, de ce déchirement, n’est pas sans nous rappeler celui de la Sibylle dans la démarche d’Henry Bauchau et son cheminement jusques aux voies et aux voix de l’écriture. En refermant le livre, on se demande encore comment l’auteure a pu réchapper de cette prise d’otage par la maladie, ses contraintes, ses souffrances et ses limitations, les menaces imminentes et la mort qui rode. Ce combat s’apparente à une métamorphose dont le motif plonge profond ses racines dans le mythe et puise aux sources de la vie qui s’en nourrit.

Nous accueillons avec d’autant plus de plaisir cette page d’écriture de l’une de nos collègues animatrices, longtemps pilier des ateliers Elisabeth Bing où elle continue d’intervenir occasionnellement. L’Afrique la retient désormais, mais nous restons reliées par l’efficace cordon de l’Internet et ses fréquents retours en France.