Violette Ailhaud : L homme semence

lundi 16 mai 2011, par Catherine Vautier-Péanne

Éditions Parole, collection main de femme, 2006

Ce récit a été écrit en 1919, par une femme âgée de 84 ans. Pour la seconde fois en soixante-dix ans, son village des Basses Alpes est privé de toute sa population masculine. Cette répétition de l’histoire la conduit à témoigner, à laisser avant de disparaître - elle mourra en 1925 - une trace de ce qu’elle a vécu.

De langue maternelle provençale, elle écrit son récit en français, la langue de la République qu’elle a enseignée. En 1852, Violette a dix-sept ans. Le village a été vidé de ses hommes à la suite de la répression du soulèvement républicain de décembre 1851. Napoléon III est au pouvoir. Les femmes demeurent entre elles dans un isolement et un désarroi absolus. Elles scellent un pacte : si un homme vient, il sera leur mari à toutes, afin que la vie continue.

Dans sa succession se trouvait une enveloppe qui ne pouvait être ouverte avant 1952, soit un siècle après l’événement relaté. La consigne indiquait que le contenu de l’enveloppe - un manuscrit - devait être confié à l’aînée des descendantes de la défunte, ayant entre quinze et trente ans. A cet âge une jeune femme est supposée ne plus être prisonnière de ses préjugés sociaux et suivre ses instincts. Yveline, 24 ans, entre en possession de son héritage en juillet 1952.

En souvenir de deuil, les femmes du village ont habillé un couple d’épouvantails se tenant par la main. Alors que le conflit est loin, la situation n’est pas sans danger, les visiteurs indésirables sont une menace : "Nous attendions les prédicateurs et les soldats de tout poil. Nous n’étions que des femmes et enfants et nous savions que nous devrions nous défendre contre ces deux familles de prédateurs des faibles... "

Un jour, après deux ans de vie exclusivement féminine, un homme approche, hormones et imaginations s’emballent. La vie n’a que faire de la raison et comme celle-ci fut la seule cause de leurs malheurs antérieurs, elle réclame à présent son dû.

Un opuscule (36 pages) qu’il serait opportun de mettre entre les mains de tous les hommes qui décident de l’avenir des autres, à commencer par les politiciens qui engagent leurs pays dans des conflits meurtriers.

Le pacte des femmes sera scrupuleusement respecté, pour le bien de toutes : "Chaque soir, je vais lui faire son souper dans la maison où nous l’avons installé. C’est la règle que nous avions décidé entre femmes avant son arrivée : celle que l’homme toucherait en premier aurait la priorité. Elle s’occuperait de lui. Les autres se tiendraient à l’écart jusqu’à ce que la première en ait fait son homme. Alors celle-ci devrait lui faire comprendre qu’en devenant l’homme de l’une, il avait le devoir d’être également l’homme des autres, la semence du village".

Une prose poétique, un sujet insolite, un témoignage rare sur la détresse des femmes à cette époque ainsi que sur la transmission féminine.