Virginie Linhart : Le jour où mon père s’est tu

mercredi 28 mai 2008, par Bernard Massip

Paris, Seuil, 2008

Au milieu des souvenirs parfois ressassés de Mai 68 qui encombrent ces temps-ci les étals des libraires, le livre de Virginie Linhart apporte un point de vue original et différent.

Virginie est née en 1966. Son père Robert fut un dirigeant maoïste. Il est connu surtout pour le livre L’établi, témoignage sur son expérience d’intellectuel « allant au peuple » en s’établissant à l’usine. Il a connu de graves dépressions et des troubles psychiatriques et gardé des séquelles d’une tentative de suicide en 1981 qui l’a ensuite éloigné de toute vie sociale et professionnelle active.

Pour mieux comprendre sa propre histoire, Virginie Linhart va à la rencontre d’autres enfants de militants, nés dans la même période de parents très engagés dans les mouvements militants. Elle les questionne sur la façon dont ils ont vécu leur enfance, cherche ce qu’ils ont en commun mais traque aussi les différences, elle confronte la façon dont les uns et les autres se sont construits et comment ils s’en trouvent marqués dans les valeurs qu’ils adoptent.

Ils ont tous soufferts du fait qu’ils ont été des enfants qui, même aimés, passaient bien après tout le reste. Mis de plein pied avec les adultes ils étaient rarement reconnus comme enfants avec leurs besoins spécifiques. Ils ont manqué de cadres stables et ont souffert ensuite dans les temps de la fin de l’engagement, lorsque leurs parents ont tenté chaotiquement au cours des années « festives mais destructrices » qui ont suivi de trouver un nouveau chemin. En réaction, la plupart de ces enfants devenus adultes ont adopté des comportements opposés : refus de tout engagement politique même s’ils restent en général attachés aux valeurs « de gauche », choix de mode de vie plutôt bourgeois et conformiste.

Mais l’intérêt du livre va bien au-delà. Virginie Linhart cherche à comprendre l’histoire plus spécifique de sa propre famille. Elle interroge le silence familial qui a suivi la tentative de suicide de son père, la honte qui l’accompagne et qui renvoie à une histoire plus ancienne ancrée dans les tragédies du siècle. Elle montre, en prenant l’exemple de deux familles, combien les attitudes qui ont suivi peuvent s’expliquer par une façon différente de survivre à la Shoah. Le fait d’être encore là, d’avoir survécu, peut être perçu comme licite, comme une victoire, comme une autorisation à vivre à pleines dents ou s’accompagner au contraire d’une persistante culpabilité, entraînant une difficulté à vivre dont le surinvestissement militant n’était qu’un symptôme.

Bien au-delà des portraits de groupe, de l’intérêt qu’il apporte à la connaissance d’une génération, ce livre est pour Virginie Linhart une belle quête d’elle-même, un hommage à ce père brisé, une façon de renouer le fil avec sa propre histoire et de dépasser ses propres souffrances intimes et à ce titre il ne peut que faire écho à nos intérêts d’apaïstes.