Virginie Linhart : Le jour où mon père s’est tu

mercredi 17 mai 2023, par Laurence Martin

Réédition poche, Le Seuil, 2018

Après avoir vu récemment le film L’établi de Mathias Gokalp d’après le livre de Robert Linhart, j’ai eu envie de lire...le livre de sa fille !

A vrai dire, je redoutais un peu le caractère dogmatique du livre du père, un maoïste « pur et dur », et puis le travail de Virginie Linhart m’intéresse - je pense notamment à son documentaire sur Vincennes. Surtout, je suis née en 1968 : nous sommes de la même génération (Virginie Linhart est née en 66) : la génération des enfants de 68. Et le hasard a fait que Virginie et Pierre, son frère, étaient dans le même collège que moi - le collège François Villon à Paris, porte de Vanves.

Cela fait plusieurs années que j’avais envie de lire son livre Le jour où mon père s’est tu dont le titre résonne comme un gong tragique - l’entrée dans le mutisme pouvant être comprise comme une mort symbolique. Ce n’est d’ailleurs qu’en commençant sa lecture que j’ai réalisé que la résonance tragique du titre tenait aussi sans doute aussi à sa résonance tout court, puisqu’on y entend, à une lettre près, Le jour où mon père s’est tué...

Le silence du père ouvre le livre (c’est le titre du premier chapitre). Il a constitué pour sa fille un point de bascule : la fin d’une enfance heureuse. La démarche de Virginie Linhart prend ainsi la forme d’une double enquête : comprendre pourquoi son père s’est tu ; savoir comment les autres "enfants de 68", enfants de parents militants maoïstes amis de ses parents, ont vécu cette enfance singulière où la politique était au centre et les enfants à la périphérie, quels adultes et quels parents ils sont devenus, quel rapport ils entretiennent à la politique. Son projet s’apparente ainsi à une sorte d’autobiographie collective : le "nous" des enfants de 68 s’opposant aux "eux" des parents militants.

Il y a à la fois une fierté et une souffrance chez Virginie Linhart. Fierté d’être la fille d’un homme qui a été une figure du mouvement maoïste en France ; souffrance d’être la fille d’un homme qui a connu à plusieurs reprises des épisodes de "folie", qui a fait une tentative de suicide et qui a trouvé refuge dans le silence.

En cherchant à comprendre ce qui a fait rêver ses parents - le rêve de la révolution -, ce qui a ensuite causé leur désillusion, elle trace le portrait sensible d’hommes et de femmes qui ont eu la passion de la politique, et, sans nier ce qui a pu être des erreurs en termes d’éducation, elle leur rend finalement un très bel hommage et reconnaît sa part d’héritage.

Sur le même ouvrage on pourra également lire l’article que Bernard Massip lui avait consacré au moment de sa sortie :
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