Virginie Poitrasson (et autres) : Il faut toujours garder en tête une formule magique

mardi 5 juin 2012, par Élizabeth Legros Chapuis

Éd. de l’Attente, 2012

Le féminin, approches du genre :

À l’occasion du vingtième anniversaire des Éditions de l’Attente, Élisabeth Jacquet, Véronique Pittolo et Virginie Poitrasson ont présenté le 30 mai 2012, à l’auditorium du Petit Palais à Paris, leurs derniers livres, parus simultanément dans cette maison d’édition et traitant, chacun à leur manière, de la question du féminin.

Partant de la question « qu’est-ce qu’être femme ? », Virginie Poitrasson rappelle que souvent, la femme est vue comme un être diffracté, sujet à de multiples identifications. Son parti pris, dans son « récit textile » : Il faut toujours garder en tête une formule magique, sera alors de faire de cette multiplicité une force, un lieu d’où peut émerger une narration, un processus de construction identitaire. Afin de coller à cette réalité multiple, elle s’est orientée vers une écriture constituée de fragments : petites fictions, aphorismes, contes, etc., formant une sorte de patchwork. L’art du tissage n’est-il pas, depuis toujours, féminin ? N’existe-t-il pas un lien historique (dont atteste l’étymologie) entre texte et textile ? Les réponses se situent peut-être dans les souvenirs d’enfance, les « petites filles de papier ». En revisitant l’univers des contes, à travers le point de vue d’Alice et le sourire du chat du Cheshire, le personnage d’Émilie et ses tapisseries du Paradis, ou encore la figure emblématique de Pénélope. Le fil défait et rembobiné devient celui de la mémoire. Ce thème s’entrelace avec celui de la progression des femmes vers l’émancipation, dans un jeu avec les stéréotypes, exprimant « un féminisme non pas guerrier, mais enjoué », qui veille à ne pas occulter l’altérité et l’interdépendance homme/femme. Afin de questionner l’ambivalence de la femme aujourd’hui, l’auteur rend hommage à la poétesse Sylvia Plath. Elle resitue aussi le « Care » en le désignant, plutôt qu’une identité sociale attachée au féminin, comme une activité générique pour maintenir, réparer, préserver le monde.

Le titre du livre d’Élisabeth Jacquet Quand j’étais petite renvoie certes à l’enfance d’une petite fille, mais son sujet est plutôt ce qui nous constitue en tant qu’êtres, par l’intermédiaire de la relation à notre mémoire. L’auteur explore la nature et la qualité des souvenirs d’enfance, leur persistante présence et leur rôle dans l’élaboration d’une fiction. Processus rendu complexe par l’émergence des nouvelles technologies et l’accélération du temps individuel : or, pour penser cette relation, il nous faut la diachronie. La recherche de quels souvenirs ? de quel premier souvenir, qui s’avère par définition introuvable ? On retrouve dans cette plongée les traces d’une perception du « temps interminable » de la petite enfance et de l’éternelle question des enfants aux parents : comment c’était quand j’étais petit ? Élisabeth Jacquet voit son livre comme un exercice de mémoire en hommage à Georges Perec et son Je me souviens : son livre contient 133 souvenirs numérotés, commençant tous par Quand j’étais petite.

Véronique Pittolo présente son livre intitulé Toute résurrection commence par les pieds comme un « travail hybride axé autour du féminin », mêlant énoncés théoriques et propositions poétiques. Influencée, de son propre aveu, par son travail de critique d’art, elle a tenté de faire l’histoire de l’aliénation et de l’émancipation des femmes à travers l’histoire de l’art occidental. Une histoire qui va recourir à la thématique de la souffrance dans la peinture de la Renaissance, le mythe antique ou chrétien ayant constitué un véritable « carcan iconographique ». Le chemin menant à la femme artiste, créatrice, est notamment ponctué par des œuvres comme l’Olympia de Manet, les Demoiselles du bord de Seine de Courbet ou la célèbre Mariée de Duchamp. L’auteur se réfère également à la récente exposition Elles tenue au Centre Pompidou et où des artistes femmes « malmènent leur corps ». Mais son emblème de l’émancipation reste la grande sculptrice Louise Bourgeois.