Vues intérieures, une mémoire insulaire

vendredi 12 février 2016, par Guillemette de Grissac

Exposition à l’Arthothèque de Saint-Denis de la Réunion, 11 septembre 2015-28 février 2016, et livre, 160p, 25 €, aux éditions Epica

Les Vues intérieures sont des « photos de famille » avec lesquelles François Louis Athenas réactive la mémoire de l’Océan Indien et en particulier de l’île de la Réunion dont il est originaire. Photos de famille « à l’ancienne », y compris d’un point de vue technique, puisque F. L. Athenas photographie avec un Leica et des pellicules, tire ses photos lui-même. « Je suis, dit-il l’un des derniers professionnels à travailler à l’argentique. » Cependant, ni le concept ni le propos ne sont pour autant passéistes : c’est la Réunion d’aujourd’hui qui est photographiée, un « paysage humain » auquel le photographe a travaillé pendant 5 ans, paysage varié, aux racines aussi multiples que solides, fruit d’un métissage harmonieux, dont les Réunionnais sont fiers.

Le concept :
Demander à tout un groupe familial de poser dans son milieu habituel, à « lacaz », comme on dit en créole, chez soi, à la maison : modeste ou luxueux, le décor est partie prenante de la photographie. La famille, autrement dit « le foyer », comme l’entendent les sociologues, se déploie, quand elle est nombreuse autour de l’ancêtre et convoque la foule des petits-enfants et arrière-petits enfants. La plus nombreuse comporte 23 membres mais on voit aussi des photographies de jeunes couples avec un enfant, de célibataires et de « foyers » restreints, plus ou moins atypiques.

Les « sujets »
F-L Athenas a choisi de témoigner de la mémoire de l’île, de sa spécificité : attachement aux valeurs familiales, respect des « anciens », richesse du « mélange ». Il photographie des célébrités : des politiques comme Paul Vergès, des artistes comme Danyel Waro, des familles connues aussi bien que des anonymes, des familles ordinaires, sans oublier sa propre famille. Rappelons que sur l’île, la diversité ethnique est la règle : Réunionnais d’origine africaine, descendants des engagés indiens, dits « Malbar » ou « Zarab », en fonction de leur lieu d’origine et de leur religion, communautés chinoises, métropolitains, « Blancs des hauts », Réunionnais d’origine malgache, mahoraise, comorienne, mauricienne etc. Le métissage rebat sans cesse les cartes, l’arbre généalogique emmêle ses branches et ses fruits sont admirés, parfois cités en exemple d’un « vivre ensemble » réussi.

Les « décors »
Mieux qu’un simple arrière-plan, le salon constitue un ensemble significatif, éloquent et fait l’objet d’une prise de vue attentive qui donne à voir l’intimité. Salon luxueux ou « bois sous tôle », plus rarement la « varangue » -quand celle-ci fait office de salon- le mobilier, les objets familiers - tissus, images aux murs, livres, tableaux, télévision parfois – sont empreints d’affectivité et révèlent les goûts et les activités de leurs propriétaires. La lumière, si riche sous les tropiques, joue aussi un rôle dans l’image.
Bien sûr, il y a quelque chose de normatif dans ces choix, comme une incitation à assimiler la réussite personnelle à une construction pyramidale, à un édifice d’autant plus prospère qu’il est vaste. De plus, a priori, toutes ces familles sont « hétéro », mais, honnêtement, si j’ai vu l’expo, je n’ai pas eu sous les yeux toutes les photos, ni le livre qui vient seulement de paraitre.
On se sent invité dans ces « intérieurs », happé par ces regards directs et ces postures sans apprêt. Telles sont mes impressions de visiteuse, sensible à la qualité artistique, sous le charme d’une présentation authentique et en même temps un peu mal à l’aise par rapport à une image du bonheur familial qui s’impose avec la force d’un modèle.

Les projets :
Le photographe poursuit son œuvre dans d’autres îles de l’Océan Indien, Comores, Seychelles, Maurice, Madagascar, au gré de ses nombreux déplacements. « Le travail de mémoire qui est au centre de ma démarche m’est apparu, dans ces différentes îles, d’autant plus nécessaire que les photographes travaillant sur les thématiques culturelles et patrimoniales y sont plus rares alors même que leurs richesses sont profondes. Dans chacune de ces îles, les modes de vie parfois les plus simples témoignent d’une tradition et d’une humanité dont il est essentiel de garder la trace », écrit FLA en exergue de son travail.

L’exposition :
L’exposition conçue par François Louis Athenas et l’écrivain Jean-François Samlong, avec le plasticien Lionel Lauret se trouve à l’Artothèque à Saint-Denis de la Réunion, lieu d’art contemporain installé dans une somptueuse « maison de maître » transformée en musée, dans le centre de la « capitale »
L’exposition ne montre pas que des photos : le plasticien Lionel Lauret les a accompagnées d’objets divers, emblématiques de l’île, et il a reconstitué un salon du « tan lontan », c’est-à-dire des années 60, avec ses chromos sur les lambris, pendule à balancier, napperons au crochet, objets de piété, téléphone à cadran, transistor…Tous objets prêtés par Emmaüs. Une vidéo de la plasticienne Pascale Simont fait partie de l’ensemble, hélas, elle ne fonctionnait pas lors de ma visite au musée .

Voir la vidéo de présentation de l’exposition