Waad-Al-Khataeb : Pour Sama, Journal d’une mère syrienne

lundi 14 octobre 2019, par Bernard Massip

Film, 2019

Equipée de son seul téléphone portable puis d’une petite caméra numérique Waad, une jeune syrienne d’Alep, d’abord étudiante puis journaliste s’est mise à filmer autour d’elle, sans idée préconçue d’abord, puis ensuite avec l’idée de documenter les événements historiques comme la vie quotidienne des habitants de sa ville et de contribuer, en diffusant ces reportages en ligne, à faire connaître la situation dramatique des populations. Elle s’attache aussi à consigner sa propre vie personnelle : son travail bénévole dans un hôpital, l’histoire d’amour qui se noue avec Hamza-al-Khateab qui en est le médecin-chef, le mariage qui en résulte, la joie partagée d’être enceinte puis la naissance de la petite Sama.

En cinq années, entre le temps de la révolution victorieuse en 2011 faisant d’Alep une zone rebelle libérée du pouvoir de Bachar-el-Assad et la chute des derniers quartiers rebelles écrasés fin 2016, la cinéaste improvisée a accumulé plus de 300 heures de rushs dont elle tire aujourd’hui, en collaboration avec le documentariste Edward Watts, ce film admirable et terrible.

Les séquences se succèdent en un habile montage non strictement chronologique montrant tour à tour la vie dans la ville à différentes étapes de la crise, associant images atroces d’exactions, de bombardements, de blessés ou de mourants que l’on amène à l’hôpital mais aussi images lumineuses de l’équipe au travail dans une solidarité sans faille, des jeux et des rires dans la famille et avec les amis et les enfants, antidotes à l’horreur dominante. Le tout est commenté et mis en perspective par la voix off de Waad s’adressant à sa fille, mettant les événements en perspective, faisant part de ses réflexions et de ses doutes : fallait-il mettre une enfant au monde dans un tel chaos, faut-il fuir ou faut-il rester ?

Certaines scènes poignantes resteront particulièrement en mémoire : ces deux jeunes garçons amenant leur petit frère sorti des décombres, les tentatives infructueuses pour le ranimer, la bâche que l’on referme sur lui, les deux garçons effondrés sur le cadavre de leur frère ; la jeune femme enceinte de neuf mois, gravement blessée dans un bombardement, sur laquelle une césarienne est pratiquée, le bébé sans réaction que l’on extirpe, les massages cardiaques, le secouage énergique et les claques sur le dos et puis le cri comme un miracle auquel on ne croyait plus ; les enfants jouant dans les décombres, décorant de couleurs, sous la houlette de Waad, les restes calcinés d’un bus détruit par un obus, même la toute petite Sama s’y met, appliquant une peinture jaune qui est comme un soleil ; après un bref voyage en Turquie auprès de parents réfugiés, la famille repassant les lignes et revenant à Alep, Hamza passant à pied entre les lignes, serrant sa petite fille dans un kangourou sur sa poitrine, parce qu’il ne conçoit pas d’abandonner l’hôpital dont il a la charge…

Plus le temps passe et plus la situation s’aggrave. Après un bombardement le couple abandonne sa jolie maison et va s’installer dans le sous-sol de l’hôpital. Mais les hôpitaux sont particulièrement visés par les frappes aériennes russes pour démoraliser la population. Celui d’Hamza n’y échappe pas et nous y assistons,nous aussi, mais de loin et à l’abri, grâce aux images de Waad. Hamza réinstalle une structure de fortune dans un bâtiment banal non repérable sur les cartes et qui sera le dernier lieu de soin à fonctionner tant bien que mal jusqu’au dernier jour du siège. Les dates ponctuent la descente aux enfers de la ville : troisième, quatrième, cinquième, sixième mois de siège, les quartiers tombent les uns après les autres, l’étau se resserre inexorablement.

En décembre 2016, un précaire accord d’évacuation est passé. Mais le docteur Al-Khateab, figure de la résistance, passera-t-il les points de contrôle sans encombre ? La caméra de Waad, toujours au plus près, fait ressentir intensément l’angoisse de ces derniers moments, puis la joie d’être sortis de l’enfer, mêlée à la tristesse du combat perdu et de l’exil.

Le film se conclut en faisant défiler à nouveau en accéléré les images des moments de joie qui ont ponctué ces année tragiques, une façon d’affirmer la possibilité de résilience comme l’est par-dessus tout la foi dans la vie dont témoigne la naissance de Sama puis d’une petite sœur conçue pendant le siège. Et c’est donc sur une note d’espoir que se termine ce film, à la fois exceptionnel témoignage pour l’histoire et document autobiographique au plus près de la vie de Waad-Al-Khataeb et de sa famille.