William Karel : La fille du juge

mercredi 11 janvier 2006, par Véronique Montémont

Film et DVD

William Karel, connu pour son travail de documentariste politique, a choisi de porter à l’écran le livre Mort d’un silence, de Clémence Boulouque (Gallimard, 2003). Même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un film autobiographique, il s’en rapproche au plus près, en ce sens qu’il est de bout en bout porté par une voix off à la première personne, celle de la comédienne Elsa Zylberstein qui lit le texte de l’auteur.

Clémence est la fille du juge Gilles Boulouque, magistrat antiterrorisme chargé d’instruire les dossiers relatifs à la vague d’attentats qui a ébranlé la France dans les années 80. Le juge Boulouque a choisi de se donner la mort le 13 décembre 1990 dans l’appartement familial, à quelques mètres de sa femme et de ses deux enfants. Il avait subi, dans les années qui précédaient, de violentes pressions, avait été brocardé par la presse, mis en cause par les politiques, accusé de n’être que la marionnette des gouvernants désireux de faire libérer les otages français du Liban.

Son histoire est relue à travers un double regard : celui de la petite Clémence, racontant l’enfance d’une fillette qui a fait trop tôt l’apprentissage de la peur : « Je suis la petite fille qui a connu les menaces de mort et les gardes du corps autour de sa dixième année », dit-elle. Chronique familiale ponctuée d’extraits de vidéos privées aux couleurs délavées, aux cadrages mouvants, où l’on voit un homme essayer d’entourer d’amour sa femme et ses deux enfants dans un climat délétère.

A ce premier regard se superpose celui, plus critique, de la jeune adulte, qui (grâce au remarquable travail archivistique effectué par Karel) revoit la manière dont son père a été mis en cause par les media et sali dans son honneur d’homme. Le propos n’est pas de mettre en accusation tel ou tel, mais plutôt de montrer comment un magistrat peut devenir le bouc émissaire de l’opinion publique, lorsqu’il doit faire coexister les pressions contradictoires de la raison d’état et l’impartialité dévolue à sa mission. Titres de journaux assassins, phraséologies ambiguës des journaux télévisés, caricatures, sonnent avec une particulière cruauté dans ce portrait qui nous dévoile dans le même temps, comme dans un miroir, le juge dans son intimité et sa vulnérabilité. Ils permettent de mesurer la souffrance d’un homme que son travail avait peu à peu isolé de tous.

Devenue adulte, Clémence Boulouque a quitté la France pour New York, pour oublier. Mais les attentats du World Trade Center sont venus lui rappeler que le terrorisme avait gâché son enfance. Elle a alors choisi d’écrire son histoire, pour en rassembler les fragments dispersés, entre vie privée et vie publique. William Karel, grâce à un montage subtil et sobre, en a fait une mise en images à la fois sensible et incisive. Sans qu’il affiche cette ambition, son film constitue pourtant une sorte de réhabilitation de Gilles Boulouque. Il montre un homme aimant, courageux, digne, mais épuisé par les menaces et un lynchage politico-médiatique qui ne lui laissait aucune chance.