Yves Charnet : Le libraire de Gambetta

mercredi 1er novembre 2023, par Élizabeth Legros Chapuis

Editions Tarabuste, mars 2023, 184 p.

Dans l’amitié des libraires et des livres

Le Libraire de Gambetta est une histoire d’amitié. Et c’est curieux que j’aie été amenée à écrire à son sujet quand, justement, le livre qui voyage avec moi pour les trajets en métro est aujourd’hui Le songe de Monomotapa, où Jean-Bertrand Pontalis parle si bien de ses amis.

Yves Charnet aime les libraires et les libraires le lui rendent bien. Ce nouveau livre, paru au printemps 2023, c’est d’abord le portrait d’un libraire, Christian Thorel, le patron de la célèbre librairie de Toulouse, Ombres blanches. C’est aussi l’évocation de l’amitié qu’il partage avec l’auteur. En même temps, comme c’est toujours le cas pour Yves Charnet, dans ses « bouquins sans queue ni tête » (c’est lui qui le dit !), c’est aussi un récit autobiographique, avec les souvenirs récurrents de la mère morte et des amours ratées.

Le livre est divisé en deux grandes parties, « Ce commerce turbulent » et « La bagarre avec les mots », chacune comprenant une trentaine de séquences, certaines très brèves (pas plus de 2-3 lignes). Charnet explique à la fin de l’ouvrage comment ce qui était à l’origine un livre de commande pour le « Marathon des mots » s’est transformé en message de reconnaissance envers le libraire toulousain : « Je remercie Christian Thorel d’avoir mis un peu de sa rigueur dans ma vie. »

Ils se sont rencontrés en 1996 lorsqu’Yves Charnet est « descendu » s’installer à Toulouse. « Nous sommes amis. Sans l’être devenus. » Pour évoquer comment la confiance s’est instaurée entre eux, l’écrivain se souvient des films des années 70, ceux avec Gabin, Ventura, Delon : on en reverra de nombreuses occurrences, comme aussi de son « seul comme Jef Costello », le Samouraï de Jean-Pierre Melville. Obsédé par le cinéma, il va filer la métaphore à travers tout le livre ; cette histoire, ce serait un film, intitulé « L’inconnu du Nautilus » et la fin, « ce serait la dernière image du film ».

Le Nautilus, c’est ainsi que Charnet surnomme la librairie Ombres blanches (à Toulouse on dit juste « Ombres »), navire de papier, et Christian Thorel en est le capitaine Nemo, « sans lui cette ville ne serait pas la même ». Et Le libraire de Gambetta, songe-t-il, ce serait un beau titre de film, comme une adaptation d’un livre de Simenon, comme L’Horloger de Saint-Paul, film vu avec sa mère en 1974. Et là il me semble voir s’enclencher les associations d’idées qui amènent Charnet, dans la « salle obscure de [s]a mémoire », à penser au soutien que Christian Thorel lui a apporté pendant sa « catastrophe conjugale », aux promenades dominicales qu’il lui imposait pendant sa dépression pour le faire sortir de lui-même. Thorel est ainsi nominé dans la « liste des Maîtres », ces « quelques rares êtres » qui lui auront pourtant « donné un sentiment d’exister », surtout en face de la blessure constante d’être un enfant sans père. Et c’est aussi l’admiration pour l’érudition du libraire : Charnet dit n’avoir connu « personne, ou presque, à être dévoré d’un tel désir de savoir. »

Il note au passage : « Profession carnettiste. Par ses interruptions structurelles, pareille écriture fragmentaire permet de garder trace de nos cogitations à l’état naissant. » Comme toujours dans ses livres, ses propos sont ponctués des chansons qui l’habitent, « les chansons comme des ricochets au bord de la Loire », celles d’Aznavour, Lama, Ferré et bien sûr Nougaro. Et encore les mêmes chansons, Lama, Montand, Trenet, celles « continuent de bercer ton cœur pour la vie ».

Le Libraire de Gambetta contient aussi de belles pages sur les librairies et la liberté, le besoin qu’on a des livres, le rapport qu’on entretient à sa bibliothèque. Les livres, dit Yves Charnet, « sont les fidèles sentinelles de mon royaume imaginaire ». Et c’est pourquoi il rend ici hommage au rôle des libraires dans sa vie : Christian Thorel, mais aussi à Paris Michelle Ferradou, la libraire de la Terrasse de Gutenberg (où d’ailleurs j’assistai en juin à une lecture du livre). Libraires et éditeurs : Charnet consacre également quelques pages à « Dja », alias Djamel Meskache, des éditions Tarabuste où ses derniers livres sont parus. Orphelin de Denis Tillinac, jadis son mentor aux éditions de la Table Ronde, il note : « Je me sens de nouveau protégé ».