Yves Jaffrenou et Robert Montet : Cévenol, une mémoire des Cévennes au vingtième siècle

mercredi 1er mars 2006, par Sylvette Dupuy

Cheminements, 2005

Les Cévennes… La plupart du temps, ces montagnes évoquent soit les utopies des années 70 (les communautés, l’élevage de chèvres, Gardarem Lou Larzac), soit la guerre des camisards, la résistance des protestants face aux dragons du roi dans des vallées imprenables. Mais dans ces magnifiques paysages, des gens bien réels ont vécu et vivent encore d’une manière opiniâtre, sur des terres arides, cultivant de maigres lopins de terre, des « traversiers » (ou terrasses) dont la terre est retenue par des murets de pierres sèches charriées à dos de mulet quand ce n’était pas à dos d’homme. Et ce sont les habitants qui constituent la véritable richesse du pays.

Pour l’anniversaire de ses quatre-vingts ans, les amis de Robert Montet, une « figure » du coin, désiraient lui offrir un livre de ses souvenirs avec l’histoire de son village, Campis, un petit hameau situé à quelques kilomètres du Vigan. C’est Yves Jaffrenou, professeur de lettres dans cette ville qui se chargea de recueillir l’histoire de sa vie, et de la transcrire. De ce travail de « transcrivain » comme il aime à le répéter, est née une belle amitié qui se sent au fil du récit.

Robert Montet est né en 1924 dans la maison qu’il occupe encore. Il commence par être ouvrier dans le textile (industrie traditionnelle dans la région) puis travaille la terre avec son père, un homme dur à la tâche (mais qui ne faisait pas une faute d’orthographe et écrivait avec des pleins et des déliés). Abondent souvenirs de veillées, anecdotes du village, bêtises de gamins, souvenirs de la première école qui s’installe. La vie est rude, on vit en autarcie, il y a juste de quoi manger. L’eau ne sera installée à Campis qu’en 1973 : « Dans les campagnes ça paraissait complètement anormal, ça choquait même, la pensée de payer l’eau : si l’eau n’est pas là, ça vient de la nature, du sol et du ciel, et c’est ainsi, mais si elle y est, alors elle est donnée à tout le monde. »

Pendant la guerre, on se débrouille pour que tout ne soit pas réquisitionné par les Allemands, on va porter le grain à moudre à une dizaine de kilomètres de là en partant la nuit. Robert Montet qui est une « forte tête » rejoint le maquis.

De retour au pays, il travaille le bois (attention, à la hache et non à la tronçonneuse :« la hache, elle taillait, vous vous seriez rasé avec ! ») et il cultive des vignes et des oliviers. Mais le gel et la grêle s’en mêlent et il est ruiné. Ne se laissant pas abattre, il devient mineur dans les mines d’uranium à Langogne (où il entame un parcours de militant syndical) puis dans les mines de plomb de Saint-Laurent le Minier. Il participe ensuite à la vie politique municipale du Vigan dont il sera un élu pendant trois mandats.

Une vie bien remplie, courageuse, un bon sens qui ne se départit pas au fil des entretiens qu’il accorde à Yves Jaffrenou et une conclusion optimiste qui n’est pas pour me déplaire, à moi qui ai choisi de vivre en Cévennes : « Il y a des Belges et des Anglais qui ont acheté ces dernières années. Je sais que certains critiquent et parlent d’invasion. Mais il me semble qu’il vaut mieux une maison qui vit qu’une maison qui devient une ruine. »