Ayem Zamen, BnF, Ateliers Bing : Mémoires de Chibanis

jeudi 3 juillet 2014, par Véronique Leroux-Hugon

BnF, 2014

Dans une belle salle de la Bibliothèque Nationale de France, rue Richelieu, a été fêtée la parution de Mémoires de Chibanis, un projet européen réunissant le Café Social, la BNF et les Ateliers d’écriture Elisabeth Bing.

Cet ouvrage est le fruit du travail en ateliers d’écriture réunissant des Chibanis, des émigrés âgés venus travailler dans la France d’après-guerre qu’Isabelle Mercat-Maheu désirait inviter à écrire leur histoire.

C’est ici chose faite et il en est sorti ce joli petit livre, résultat d’une coopération réussie entre de nombreuses intervenants dont le moindre n’est pas la BNF dans sa Mission de diversification des publics, et le Café Social à Belleville et à la Goutte d’Or,qui réunit de vieux migrants pour écrire ou raconter leur venue en France.Rencontres conviviales illustrées par un livret-photo,qui clôt les sept chapitres réunissant les textes issus de cette aventure de quelques mois : elle ne restera pas sans suite.

Le livre est organisé en parties aux titres évocateurs : « J’aime/je n’aime pas,les médias en France et au pays,l’arrivée en France, le travail, la formation ; scène de vie familiale, de table et ce mystérieux « Le contenu de la valise », suivi des signatures poétiques des auteurs,et de six interviews de ceux qui ne pouvaient pas écrire en français. Et toutes ces vies défilent avec les difficultés,les émerveillements,les déceptions aussi, contés par ces Chibanis qui pensaient ne pas savoir les écrire. Leurs textes prouvent le contraire, vivants et poétiques tels ces objets soigneusement choisis avant le grand départ et déposés dans la valise, et l’humour qui les colorent, ainsi chez celle qui pensait tout trouver en France « le pays où tout est beau » et ne s’est pas embarrassée d’un bagage.

Diversités des prénoms, des pays d’origine, des expressions aussi se rencontrent dans ces pages, qu’on retrouve dans le livret-photo où dans le cadre du Café Social les sourires alternent avec la concentration pour composer les mots, les récits.

Isabelle Mercat-Maheu explique comment elle avançait diverses propositions d’écriture, accompagnées de textes : Roland Barthes, Martin Winckler, Philippe Lecarme, bien d’autres suggestions. Il y eut aussi des visites à la BNF rue Richelieu, où furent présentés des manuscrits anciens venus d’Orient et d’Occident, où nos auteurs ont aussi fait des recherches pour renouer, comme le dit Sylvie Dreyfus-Alphandéry,les liens de l’histoire individuelle et ceux de l’histoire collective.

C’est donc d’une double histoire qu’il est question ici, chatoyante, mélancolique parfois, nostalgique et curieuse. Se déroulent des vies individuelles mêlées à celles des pays d’appartenance ou d’adoption,celles des Chibanis des deux rives.

On y apprend des recettes de cuisine dont la simple lecture met l’eau à la bouche,y compris celle… des œufs à la coque ! Mais on lit aussi les obstacles rencontrés pour se former, puis trouver du travail, tenir des années durant, gagner des médailles du Travail, profiter un peu de la retraite. Les interviews reprennent, différemment mis en forme, ces mêmes histoires, ces écrits tardifs qui sont bilans. Concises, les signatures poétiques se déploient comme l’intérieur d’une boîte à bijoux, chacun original, chacun comme un éclat de vie, un haiku.

Pari difficile comme le dit Moncef Labidi directeur d’Ayyem Zamen ( ce qui veut dire : « le bon vieux temps », le Café Social). Les bénéfices multiples de cette entreprise, sont visibles, évidents,et justifient aussi la multiplicité des intervenants « institutionnels » (quoique ce vilain mot reflète mal la chaleur des dites interventions). On attend donc la suite, un film, d’autres projets avec intérêt et plaisir anticipé.

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