Christiane de Turckheim : Pour l’amour de Catherine

lundi 5 septembre 2005, par Françoise Lott

Jérôme Do Bentzinger, 2003

La lecture passionnée du Journal de Catherine Pozzi et une invitation à écrire un article à son sujet conduisent Anne à se regarder et à regarder le monde en formulant, en osant formuler, les questions simples et vitales que nous nous partageons tous. Cela peut commencer par les maux de tête de la narratrice qui lui rappellent les angoisses et la tuberculose qui ont accablé la diariste, les séances de yoga où le souffle est si précieusement étudié. On y rencontre Vincent, qui a offert le Journal à Anne et c’est aussi pour ce portrait qu’il faut lire Pour l’amour de Catherine. Il est le lecteur idéal pour les manuscrits de l’APA, celui dont peuvent rêver les déposants : attentif et fraternel à chaque nouvelle lecture, capable de mouvements d’humeur qu’il sait reconnaître et contrôler ; il dit que sa vie personnelle lui semble « enrichie, démultipliée par celle des autres », ces autres, inconnus, qui sont dans sa mémoire comme « une ribambelle d’amis ».

C’est aussi l’ardeur au travail de Catherine P., la multiplicité de ses dons, littéraires, philosophiques, scientifiques : elle se révèle brillante partout et cependant ne s’impose nulle part. Pourquoi n’a-t-elle pas su faire fructifier de tels talents ? Pourquoi s’est-elle laissé consumer par l’angoisse et la maladie ? Et Anne de se demander à quelle aune se mesure sa vie, la sienne et celle de son héroïne dont celle-ci dit que « rien n’est capable de la remplir ». Bien sûr, il y a le « divertissement » dont la puissance et de la vacuité nous pénètrent tous. Et les divertissements de Catherine P. étaient éblouissants : des amis célèbres, une élégance sûre et coûteuse… Mais il y a aussi la passion puis le désespoir de ce qu’elle vit avec Valéry. Et la douleur des couples qui se déchirent, que connaît Anne et reconnaît autour d’elle. « Nous ne savons rien des gens, même de ceux que nous côtoyons tous les jours », dit Vincent.

En contrepoint de ces approches de son héroïne, qu’elle voudrait faire connaître et aimer, on découvre la vie quotidienne d’Anne, qui n’a pas toujours le nez enfoui sous sa couette, de Vincent, qui pleure sa femme, cultive son jardin, aime écouter la maison silencieuse où dorment ses petits-enfants, et de Cécile, épuisée mais attentive aux bruits familiers derrière la porte de sa chambre.

Par cet entrelacs de réflexions et de portraits, le lecteur peu à peu se réjouit de dialoguer avec l’auteur autour de cette question toute humaine et toute simple : « Vivre ? C’est quoi ? ».