Lydia Flem : Paris Fantasme

mardi 4 mai 2021, par Elisabeth Gillet-Perrot

Seuil, La librairie du 21e siècle, 2021

Qui mieux que Lydia Flem pourrait écrire la biographie d’une rue de Paris en parallèle avec la sienne propre ? En effet, elle réussit avec brio en signant les portraits des personnages plus ou moins célèbres qui ont habité la rue Férou entre 1518 et 2017 (une toute petite rue de Paris qui grimpe de la Place Saint Sulpice vers le Jardin du Luxembourg dans le 6e arondissement).

On se laisse embarquer comme dans un roman dans cette promenade dans le temps et l’espace en compagnie d’Alexandre Dumas avec Athos (1625), de Bernardin de St Pierre (1786), de Balzac (1835)... La plus bouleversante de ces évocations, c’est Le Bateau ivre dans lequel Arthur Rimbaud nous transporte. « Ce 1er mai 2012, quelque chose d’inattendu se passe. Quelque chose qui va transformer le destin de cette ruelle méconnue et m’inviter à des voyages imaginaires dont je ne devine rien encore ». Lydia Flem, écrivaine, psychanalyste et photographe passe rue Férou quand le calligraphe hollandais Yan Willem Bruins est en train de tracer les 100 vers du Bateau ivre que Rimbaud avait déclamés, le 30 septembre 1871, lors d’un déjeuner des « Vilains Bonshommes ».

On imagine Lydia, avec son œil de photographe découvrant le 1er mai les deux vers en cours d’exécution :
« J’aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d’or, ces poissons chantants ».

Elle nous dévoile qu’elle a posé quelques temps ses valises dans un moment de sa vie dans cette toute petite rue devenue sa rue. Elle arpente un par un les N° qui ont abrité des personnages aussi célèbres que Man Ray et sa femme Juliet qui ont eu si froid dans le studio sans chauffage et évoque alors cette tranche de la vie du peintre américain dans le tableau Rue Férou : « Rue Férou est une œuvre en cascade, qui cite le premier départ de New York en 1921, redoublé par ce second exil, trente ans plus tard, réaffirmant le désir de vivre à Paris, loin de son continent natal, loin de ses proches. Il a toujours affirmé qu’il voulait vivre là où il pouvait demeurer un étranger ».

C’est en évoquant les multiples caractères de ceux et celles qui ont vécu dans cette rue que Lydia la fait sienne, tout en la partageant : « Ma rue Férou est le lieu d’une autobiographie au pluriel ». Puis, comme des parenthèses dans ce dédale de vies, elle glisse la recette du pot au feu d’Alexandre Dumas, du cake au citron de Lily Perec (sœur de Georges) tout comme celle du gâteau au pavot de sa propre grand-mère Rose dont elle a reçu en héritage son deuxième prénom.

Arrivée au N° 6 de la rue Férou où se trouve l’Hôtel de Luzy, Lydia Flem passe la parole à Dorothée Luzy, comédienne, l’occupante des lieux : « Dorothée Luzy, je suis, Dorothée Luzy, je demeure ». Et le lecteur se trouve embarqué dans une tranche de vie du XVIIIe siècle.

Et, après avoir refermé cette biographie d’une rue remarquable, le lecteur n’a qu’une envie : arpenter à son tour les pavés de mémoire, relire le Bateau ivre de droite à gauche, comme l’a voulu le calligraphe Yan Willem Bruins et même partir à Leyde où il est dit qu’il a posé tellement de textes d’auteurs du monde entier... un programme alléchant de lectures sur les murs !!!


Ce livre donne également lieu à un article plus développé de Gérald Cahen que vous pourrez découvrir dans la prochaine livraison de La Faute à Rousseau, n° 87, à paraître en juin 2021.